Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 2.djvu/338

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plus qu’un objet sans attraits pour ceux qui en ont approché, et un fantôme vain et trompeur pour les autres qui sont restés dans l’éloignement. La paresse prend sa place, et semble offrir à tous des routes plus aisées et des biens plus solides ; mais le dégoût la précède et l’ennui la suit, l’ennui, ce triste tyran de toutes les âmes qui pensent, contre lequel la sagesse peut moins que la folie.

C’est donc parce que la nature de l’homme est composée de deux principes opposés, qu’il a tant de peine à se concilier avec lui-même ; c’est de là que viennent son inconstance, son irrésolution, ses ennuis.

Les animaux au contraire, dont la nature est simple et purement matérielle, ne ressentent, ni combats intérieurs, ni opposition, ni trouble ; ils n’ont ni nos regrets, ni nos remords, ni nos espérances, ni nos craintes.

Séparons de nous tout ce qui appartient à l’âme, ôtons-nous l’entendement, l’esprit et la mémoire ; ce qui nous restera sera la partie matérielle par laquelle nous sommes animaux ; nous aurons encore des besoins, des sensations, des appétits, nous aurons de la douleur et du plaisir, nous aurons même des passions : car une passion est-elle autre chose qu’une sensation plus forte que les autres, et qui se renouvelle à tout instant ? Or, nos sensations pourrons se renouveler dans notre sens intérieur matériel ; nous aurons donc toutes les passions, du moins toutes les passions aveugles que l’âme, ce principe de la connaissance, ne peut ni produire, ni fomenter.

C’est ici le point le plus difficile : comment pourrons-nous, surtout avec l’abus que l’on a fait des termes, nous faire entendre et distinguer nettement les passions qui n’appartiennent qu’à l’homme, de celles qui lui sont communes avec les animaux ? est-il certain, est-il croyable que les animaux puissent avoir des passions ? n’est-il pas au contraire convenu que toute passion est une émotion de l’âme ? doit-on par conséquent chercher ailleurs que dans ce principe spirituel les germes de l’orgueil, de l’envie, de l’ambition, de l’avarice et de toutes les passions qui nous commandent ?

Je ne sais, mais il me semble que tout ce qui commande à l’âme est hors d’elle ; il me semble que le principe de la connaissance n’est point celui du sentiment ; il me semble que le germe de nos passions est dans nos appétits, que les illusions viennent de nos sens et résident dans notre sens intérieur matériel, que d’abord l’âme n’y a de part que par son silence, que quand elle s’y prête elle est subjuguée, et pervertie lorsqu’elle s’y complaît.

Distinguons donc, dans les passions de l’homme, le physique et le moral : l’un est la cause, l’autre l’effet ; la première émotion est dans le sens intérieur matériel, l’âme peut la recevoir, mais elle ne la produit pas. Distinguons aussi les mouvements instantanés des mouvements durables, et nous verrons d’abord que la peur, l’horreur, la colère, l’amour, ou plutôt le désir de jouir, sont des sentiments qui, quoique durables, ne dépendent que de