Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 2.djvu/344

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’est par les rapports de mouvement que le chien prend les habitudes de son maître, c’est par les rapports de figure que le singe contrefait les gestes humains, c’est par les rapports d’organisation que le serin répète des airs de musique et que le perroquet imite le signe le moins équivoque de la pensée, la parole, qui met à l’extérieur autant de différence entre l’homme et l’homme qu’entre l’homme et la bête, puisqu’elle exprime dans les uns la lumière et la supériorité de l’esprit, qu’elle ne laisse apercevoir dans les autres qu’une confusion d’idées obscures ou empruntées, et que dans l’imbécile ou le perroquet elle marque le dernier degré de la stupidité, c’est-à-dire l’impossibilité où ils sont tous deux de produire intérieurement la pensée, quoiqu’il ne leur manque aucun des organes nécessaires pour la rendre au dehors.

Il est aisé de prouver encore mieux que l’imitation n’est qu’un effet mécanique, un résultat purement machinal, dont la perfection dépend de la vivacité avec laquelle le sens intérieur matériel reçoit les impressions des objets, et de la facilité de les rendre au dehors par la similitude et la souplesse des organes extérieurs. Les gens qui ont les sens exquis, délicats, faciles à ébranler, et les membres obéissants, agiles et flexibles, sont, toutes choses égales d’ailleurs, les meilleurs acteurs, les meilleurs pantomimes, les meilleurs singes : les enfants, sans y songer, prennent les habitudes du corps, empruntent les gestes, imitent les manières de ceux avec qui ils vivent ; ils sont aussi très portés à répéter et à contrefaire. La plupart des jeunes gens les plus vifs et les moins pensants, qui ne voient que par les yeux du corps, saisissent cependant merveilleusement le ridicule des figures ; toute forme bizarre les affecte, toute représentation les frappe, toute nouveauté les émeut ; l’impression en est si forte qu’ils représentent eux-mêmes, ils racontent avec enthousiasme, ils copient facilement et avec grâce ; ils ont donc supérieurement le talent de l’imitation, qui suppose l’organisation la plus parfaite, les dispositions du corps les plus heureuses, et auquel rien n’est plus opposé qu’une forte dose de bon sens.

Ainsi, parmi les hommes, ce sont ordinairement ceux qui réfléchissent le moins qui ont le plus ce talent de l’imitation ; il n’est donc pas surprenant, qu’on le trouve dans les animaux qui ne réfléchissent point du tout ; ils doivent même l’avoir à un plus haut degré de perfection, parce qu’ils n’ont rien qui s’y oppose, parce qu’ils n’ont aucun principe par lequel ils puissent avoir la volonté d’être différents les uns des autres. C’est par notre âme que nous différons entre nous, c’est par notre âme que nous sommes nous, c’est d’elle que vient la diversité de nos caractères et la variété de nos actions : les animaux, au contraire, qui n’ont point d’âme, n’ont point le moi qui est le principe de la différence, la cause qui constitue la personne ; ils doivent donc, lorsqu’ils se ressemblent par l’organisation ou qu’ils sont de la même espèce, se copier tous, faire tous les mêmes choses et de la même façon, s’imiter en un mot beaucoup plus parfaitement que les hommes ne peuvent