Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 2.djvu/345

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s’imiter les uns les autres ; et par conséquent ce talent d’imitation, bien loin de supposer de l’esprit et de la pensée dans les animaux, prouve, au contraire, qu’ils en sont absolument privés.

C’est par la même raison que l’éducation des animaux, quoique fort courte, est toujours heureuse ; ils apprennent en très de temps presque tout ce que savent leur père et mère, et c’est par l’imitation qu’ils l’apprennent[NdÉ 1] ; ils ont donc non seulement l’expérience qu’ils peuvent acquérir par le sentiment, mais ils profitent encore, par le moyen de l’imitation, de l’expérience que les autres ont acquise. Les jeunes animaux se modèlent sur les vieux ; ils voient que ceux-ci s’approchent ou fuient lorsqu’ils entendent certains bruits, lorsqu’ils aperçoivent certains objets, lorsqu’ils sentent certaines odeurs ; ils s’approchent aussi ou fuient d’abord avec eux sans autre cause déterminante que l’imitation, et ensuite ils s’approchent ou fuient d’eux-mêmes et tout seuls, parce qu’ils ont pris l’habitude de s’approcher ou de fuir toutes les fois qu’ils ont éprouvé les mêmes sensations.

Après avoir comparé l’homme à l’animal, pris chacun individuellement, je vais comparer l’homme en société avec l’animal en troupe, et rechercher en même temps qu’elle peut être la cause de cette espèce d’industrie qu’on remarque dans certains animaux, même dans les espèces les plus viles et les plus nombreuses : que de choses ne dit-on pas de celle de certains insectes ! Nos observateurs admirent à l’envie l’intelligence et les talents des abeilles : elles ont, disent-ils, un génie particulier, un art qui n’appartient qu’à elles, l’art de se bien gouverner. Il faut savoir observer pour s’en apercevoir ; mais une ruche est une république où chaque individu ne travaille que pour la société, où tout est ordonné, distribué, réparti avec une prévoyance, une équité, une prudence admirables ; Athènes n’était pas mieux conduite ni mieux policée : plus on observe ce panier de mouches et plus on découvre de merveilles, un fond de gouvernement inaltérable et toujours le même, un respect profond pour la personne en place, une vigilance singulière pour son service, la plus soigneuse attention pour ses plaisirs, un amour constant pour la patrie, une ardeur inconcevable pour le travail, une assiduité à l’ouvrage que rien n’égale, le plus grand désintéressement joint à la plus grande économie, la plus fine géométrie employée à la plus élégante architecture, etc. Je ne finirais point si je voulais seulement parcourir les annales de cette république, et tirer de l’histoire de ces insectes tous les traits qui ont excité l’admiration de leurs historiens.

C’est qu’indépendamment de l’enthousiasme qu’on prend pour son sujet, on admire toujours d’autant plus qu’on observe davantage et qu’on raisonne

  1. Mais ils l’apprennent très inégalement, suivant que leur intelligence est plus ou moins développée. Si, d’ailleurs, il est vrai que chez les animaux l’éducation consiste simplement dans une imitation des actes, des gestes, des cris, des sons de voix de l’éducateur, on doit ajouter que, chez l’homme, c’est encore en cela que consiste l’éducation.