Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 2.djvu/361

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rables, qu’elles sont plus anciennes, et que, dans l’état où nous les avons réduits, il ne serait peut-être plus possible de les réhabiliter ni de leur rendre leur forme primitive et les autres attributs de nature que nous leur avons enlevés.

La température du climat, la qualité de la nourriture et les maux d’esclavage, voilà les trois causes de changement, d’altération et de dégénération dans les animaux. Les effets de chacune méritent d’être considérés en particulier, et leurs rapports, vus en détail, nous présenteront un tableau au devant duquel on verra la nature telle qu’elle est aujourd’hui, et dans le lointain on apercevra ce qu’elle était avant sa dégradation.

Comparons nos chétives brebis avec le mouflon dont elles sont issues ; celui-ci, grand et léger comme un cerf, armé de cornes défensives et de sabots épais, couvert d’un poil rude, ne craint ni l’inclémence de l’air, ni la voracité du loup ; il peut non seulement éviter ses ennemis par la légèreté de sa course, mais il peut aussi leur résister par la force de son corps et par la solidité des armes dont sa tête et ses pieds sont munis : quelle différence de nos brebis, auxquelles il reste à peine la faculté d’exister en troupeau, qui même ne peuvent se défendre par le nombre, qui ne soutiendraient pas sans abri le froid de nos hivers, enfin qui toutes périraient si l’homme cessait de les soigner et de les protéger ! Dans les climats les plus chauds de l’Afrique et de l’Asie, le mouflon, qui est le père commun de toutes les races de cette espèce, paraît avoir moins dégénéré que partout ailleurs ; quoique réduit en domesticité, il a conservé sa taille et son poil, seulement il a beaucoup perdu sur la grandeur et la masse de ses armes ; les brebis de Sénégal et des Indes sont les plus grandes des brebis domestiques, et celles de toutes dont la nature est la moins dégradée : les brebis de la Barbarie, de l’Égypte, de l’Arabie, de la Perse, de l’Arménie, de la Calmouquie, etc., ont subi de plus grands changements ; elles se sont, relativement à nous, perfectionnées à certains égards et viciées à d’autres ; mais comme se perfectionner ou se vicier est la même chose relativement à la nature, elles se sont toujours dénaturées ; leur poil rude s’est changé en une laine fine ; leur queue, s’étant chargée d’une masse de graisse, a pris un volume incommode et si grand que l’animal ne peut la traîner qu’avec peine ; et en même temps qu’il s’est bouffi d’une manière superflue et qu’il s’est paré d’une belle toison, il a perdu sa force, son agilité, sa grandeur et ses armes : car ces brebis à longues et larges queues n’ont guère que la moitié de la taille du mouflon ; elles ne peuvent fuir le danger ni résister à l’ennemi ; elles ont un besoin continuel des secours et des soins de l’homme pour se conserver et se multiplier. La dégradation de l’espèce originaire est encore plus grande dans nos climats ; de toutes les qualités du mouflon, il ne reste rien à nos brebis, rien à notre bélier, qu’un peu de vivacité, mais si douce, qu’elle cède encore à la houlette d’une bergère ; la timidité, la faiblesse, et même la stupidité et