Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 2.djvu/364

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Nord ont seuls les oreilles droites. La voix de ces animaux a subi comme tout le reste d’étranges mutations ; il semble que le chien soit devenu criard avec l’homme[NdÉ 1], qui, de tous les êtres qui ont une langue, est celui qui en use et abuse le plus : car dans l’état de nature le chien est presque muet, il n’a qu’un hurlement de besoin par accès assez rares ; il a pris son aboiement dans son commerce avec l’homme, surtout avec l’homme policé : car lorsqu’on le transporte dans les climats extrêmes et chez des peuples grossiers, tels que les Lapons ou les nègres, il perd son aboiement, reprend sa voix naturelle, qui est le hurlement, et devient même quelquefois absolument muet. Les chiens à oreilles droites, et surtout le chien de berger, qui de tous est celui qui a le moins dégénéré, est aussi celui qui donne le moins de voix : comme il passe sa vie solitairement dans la campagne, et qu’il n’a de commerce qu’avec les moutons et quelques hommes simples, il est comme eux sérieux et silencieux, quoiqu’en même temps il soit très vif et fort intelligent ; c’est de tous les chiens celui qui a le moins de qualités acquises et le plus de talents naturels, c’est le plus utile pour le bon ordre et pour la garde des troupeaux, et il serait plus avantageux d’en multiplier, d’en étendre la race que celles des autres chiens qui ne servent qu’à nos amusements, et dont le nombre est si grand qu’il n’y a point de villes où l’on ne pût nourrir un nombre de familles des seules aliments que les chiens consomment.

L’état de domesticité a beaucoup contribué à faire varier la couleur des animaux[NdÉ 2] : elle est en général originairement fauve ou noire ; le chien, le bœuf, la chèvre, la brebis, le cheval, ont pris toutes sortes de couleurs ; le cochon a changé du noir au blanc ; et il paraît que le blanc pur et sans aucune tache est à cet égard le signe du dernier degré de dégénération, et qu’ordinairement il est accompagné d’imperfections ou de défauts essentiels : dans la race des hommes blancs, ceux qui le sont beaucoup plus que les autres, et dont les cheveux, les sourcils, la barbe, etc., sont naturellement blancs, ont souvent le défaut d’être sourds et d’avoir en même temps les yeux rouges et faibles ; dans la race des noirs, les nègres blancs sont encore d’une nature plus faible et plus défectueuse. Tous les animaux absolument blancs ont ordinairement ces mêmes défauts de l’oreille dure et des yeux rouges ; cette sorte de dégénération, quoique plus fréquente dans les animaux domestiques, se montre aussi quelquefois dans les espèces libres, comme dans celles des éléphants, des cerfs, des daims, des guenons, des taupes, des souris ; et dans toutes, cette couleur est toujours accompagnée de plus ou moins de faiblesse de corps et d’hébétation de sens[NdÉ 3].

  1. Le chien sauvage, en effet, n’aboie pas ; il pousse de simples hurlements.
  2. La domesticité agit avec une grande rapidité sur la couleur des animaux de même que sur leurs autres caractères.
  3. Le blanc est, en effet, la coloration qui a le plus de tendance à se produire sous