Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 2.djvu/366

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Les animaux sauvages n’étant pas immédiatement soumis à l’empire de l’homme ne sont pas sujets à d’aussi grandes altérations que les animaux domestiques ; leur nature paraît varier suivant les différents climats, mais nulle part elle n’est dégradée. S’ils étaient absolument les maîtres de choisir leur climat et leur nourriture, ces altérations seraient encore moindres ; mais comme de tout temps ils ont été chassés, relégués par l’homme, ou

    formes sauvages voisines, qu’il nous est actuellement impossible d’indiquer avec certitude les espèces sauvages auxquelles ils se rapportent. Il en est ainsi, par exemple, pour les chiens : on suppose généralement qu’ils descendent du loup ou du chacal, mais on ne peut pas en fournir la démonstration. Les oiseaux domestiques, dindons, canards, poules, finissent par perdre presque complètement la faculté de voler, qui est plus ou moins développée chez les espèces sauvages desquelles ils dérivent. Le canard est particulièrement remarquable à cet égard : à l’état sauvage son vol est assez puissant pour lui permettre des migrations très lointaines, tandis qu’à l’état domestique il ne vole pour ainsi dire pas, et ses os sont beaucoup modifiés.

    Il est bien démontré que le régime plus abondant de l’état domestique a modifié considérablement les organes digestifs profonds du chien, de même qu’il a agi puissamment sur sa dentition en la rendant beaucoup moins forte qu’elle ne l’est chez le chacal et le loup, d’où l’on prétend qu’il dérive. Les intestins du chat domestique sont plus longs d’un tiers que ceux du chat sauvage d’Europe ; les intestins du porc domestique sont plus longs que ceux du sanglier ; chez le lapin domestique les intestins sont, au contraire, plus courts que chez le lapin sauvage. Ces transformations sont, sans nul doute, dues à la nature de l’alimentation. Le chien et le chat domestiques ont une nourriture non seulement plus abondante mais encore plus variée, moins exclusivement animale ; or on sait que le tube digestif est plus court chez les carnivores que chez les herbivores et les omnivores ; la brièveté relative du tube digestif du lapin doit être attribuée à ce que son alimentation est moins exclusivement herbivore que celle du lapin sauvage ; on lui donne des aliments plus substantiels, en quantité moindre et plus variés, plus riches en matière azotée que l’herbe dont se nourrit le lapin sauvage. James a constaté que les races domestiques de moutons et de bœufs ont le foie plus volumineux que les races sauvages des mêmes espèces. Les vaches et les chèvres domestiques donnent une quantité de lait infiniment supérieure à celle que produisent les vaches et les chèvres sauvages ; une bonne vache laitière peut donner jusqu’à vingt-deux litres de lait par jour, tandis que, d’après Anderson, les vaches des Damaras de l’Afrique du Sud n’en donnent guère plus d’un litre par jour et se refuseraient à en donner la plus minime quantité si on les privait de leurs veaux. D’après Darwin, le lapin domestique a le corps et le squelette plus grands que le lapin sauvage ; les os des membres sont proportionnellement plus lourds, le crâne est saillant, plus étroit et le cerveau est plus petit. Le même naturaliste fait remarquer qu’un certain nombre d’animaux domestiques ont les oreilles rabattues et pendantes, tandis que les espèces sauvages ont les oreilles droites. M. Blith insiste sur ce fait qu’aucun animal sauvage n’a la queue retournée comme l’ont certains chiens et le porc domestique. Les papillons du vers à soie soumis depuis longtemps à l’élevage n’ont que des ailes rudimentaires et sont incapables de voler, tandis que les papillons sauvages de la même espèce ont des ailes très développées et un vol assez puissant.

    Il me paraît inutile de multiplier ces exemples. Quant aux conditions inhérentes à la domestication qui exercent le plus d’action dans les transformations qui se produisent sous son influence, nous ne les connaissons qu’imparfaitement. Il est probable qu’en tête de ces conditions il faut faire figurer l’abondance plus ou moins grande et la nature de l’alimentation, la soustraction de l’animal aux accidents atmosphériques qu’il doit subir à l’état sauvage, la suppression des fatigues auxquelles il était condamné pour la recherche de sa nourriture. Les conditions spéciales dans lesquelles se trouve placé l’animal soumis à la domestication entraînent un fonctionnement plus actif de certains organes, et, au contraire, une diminution d’activité de certains autres, d’où résultent des modifications dans les caractères morphologiques, anatomiques et fonctionnels des organes.