Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 2.djvu/367

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même par ceux d’entre eux qui ont le plus de force et de méchanceté, la plupart ont été contraints de fuir, d’abandonner leur pays natal et de s’habituer dans des terres moins heureuses[NdÉ 1] ; ceux dont la nature s’est trouvée assez flexible pour se prêter à cette nouvelle situation se sont répandus au loin, tandis que les autres n’ont eu d’autre ressource que de se confiner dans les déserts voisins de leur pays. Il n’y a aucune espèce d’animal, qui, comme celle de l’homme, se trouve généralement partout sur la surface de la terre ; les unes, et en grand nombre, sont bornées aux terres méridionales de l’ancien continent ; les autres aux parties méridionales du nouveau monde ; d’autres, en moindre quantité, sont confinées dans les terres du Nord, et, au lieu de s’étendre vers les contrées du Midi, elles ont passé d’un continent à l’autre par des routes jusqu’à ce jour inconnues ; enfin quelques autres espèces n’habitent que certaines montagnes ou certaines vallées, et les altérations de leur nature sont en général d’autant moins sensibles qu’elles sont plus confinées.

Le climat et la nourriture ayant peu d’influence sur les animaux libres, et l’empire de l’homme en ayant encore moins, leurs principales variétés viennent d’une autre cause ; elles sont relatives à la combinaison du nombre dans les individus, tant de ceux qui produisent que de ceux qui sont produits. Dans les espèces, comme celle du chevreuil, où le mâle s’attache à sa femelle et ne la change pas, les petits démontrent la constante fidélité de leurs parents par leur entière ressemblance entre eux ; dans celles, au contraire, où les femelles changent souvent de mâle, comme dans celle du cerf, il se trouve des variétés assez nombreuses ; et comme dans toute la nature il n’y a pas un seul individu qui soit parfaitement ressemblant à un autre[NdÉ 2], il se trouve d’autant plus de variétés dans les animaux que le nombre de leur produit est plus grand et plus fréquent. Dans les espèces où la femelle produit cinq ou six petits, trois ou quatre fois par an, de mâles différents, il est nécessaire que le nombre des variétés soit beaucoup plus grand que dans celles où le produit est annuel et unique ; aussi les espèces inférieures, les petits animaux qui tous produisent plus souvent et en plus grand nombre que ceux des espèces majeures, sont-elles sujettes à plus de variétés[NdÉ 3]. La grandeur du corps, qui ne paraît être qu’une quantité relative, a néanmoins des attributs positifs et des droits réels dans l’ordonnance de la nature ; le grand y est aussi fixe que le petit y est variable : on pourra s’en convaincre aisément par l’énumération que nous allons faire des variétés des grands et des petits animaux.

Le sanglier a pris en Guinée des oreilles très longues et couchées sur le

  1. Les migrations volontaires ou involontaires des animaux et même des végétaux ont, en effet, joué un grand rôle dans la transformation des espèces. (Voyez De Lanessan, le Transformisme.)
  2. Mot d’une grande justesse.
  3. Cette remarque est très exacte.