Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 2.djvu/391

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en est de même de quelques autres espèces : les chevreuils et les daims, aussi bien que les mouffettes, sont plus nombreux tant pour les variétés que pour les espèces, et en même temps plus grands et plus forts dans le nouveau continent que dans l’ancien ; on pourrait donc imaginer qu’ils en sont originaires ; mais comme nous ne devons pas douter que tous les animaux en général n’aient été créés dans l’ancien continent, il faut nécessairement admettre leur migration de ce continent à l’autre, et supposer en même temps qu’au lieu d’avoir, comme tous les autres, dégénéré dans ce nouveau monde, ils s’y sont au contraire perfectionnés, et que par la convenance et la faveur du climat, ils ont surpassé leur première nature.

Les fourmiliers, qui sont des animaux très singuliers et dont il y a trois ou quatre espèces dans le nouveau monde, paraissent aussi avoir leurs représentants dans l’ancien ; le pangolin et le phatagin leur ressemblent par le caractère unique de n’avoir point de dents et d’être forcés comme eux à tirer la langue et vivre de fourmis ; mais si l’on veut leur supposer une origine commune, il est assez étrange qu’au lieu d’écailles qu’ils portent en Asie, ils se soient couverts de poils en Amérique.

À l’égard des agoutis, des pacas et des autres du septième genre des animaux particuliers au nouveau continent, on ne peut les comparer qu’au lièvre et au lapin, desquels cependant ils diffèrent tous par l’espèce ; et ce qui peut faire douter qu’il y ait rien de commun dans leur origine, c’est que le lièvre s’est répandu dans presque tous les climats de l’ancien continent, sans que sa nature se soit altérée et sans qu’il ait subi d’autres changements que dans la couleur de son poil ; on ne peut donc pas imaginer avec fondement que le climat d’Amérique ait fait ce que tous les autres climats n’ont pu faire, et qu’il eût changé la nature de nos lièvres au point d’en faire ou des tapetis et des apéréa, qui n’ont point de queue, ou des agoutis à museau pointu, à oreilles courtes et rondes, ou des pacas à grosse tête, à oreilles courtes, à poil ras et rude, avec des bandes blanches.

Enfin les coatis, les tatous et les paresseux sont si différents, non seulement pour l’espèce, mais aussi pour le genre, de tous les animaux de l’ancien continent, qu’on ne peut les comparer à aucun, et qu’il n’est pas possible de leur supposer rien de commun dans leur origine, ni d’attribuer aux effets de la dégénération les prodigieuses différences qui se trouvent dans leur nature, dont nul autre animal ne peut nous donner ni le modèle ni l’idée.

Ainsi de dix genres et de quatre espèces isolées, auxquels nous avons tâché de réduire tous les animaux propres et particuliers au nouveau monde, il n’y en a que deux, savoir, le genre des jaguars, des ocelots, etc., et l’espèce du pécari, avec ses variétés, qu’on puisse rapporter avec quelque fondement aux animaux de l’ancien continent ; les jaguars et les ocelots peuvent être regardés comme des espèces de léopards ou de panthères,