Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 2.djvu/392

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et le pécari comme une espèce de cochon. Ensuite il y a cinq genres et une espèce isolée, savoir, l’espèce du lama, et les genres des sapajous, des sagouins, des mouffettes, des agoutis et des fourmiliers, qu’on peut comparer, mais d’une manière équivoque et fort éloignée, au chameau, aux guenons, aux putois, au lièvre et aux pangolins ; et enfin il reste quatre genres et deux espèces isolées, savoir, les philandres, les coatis, les tatous, les paresseux, le tapir et le cabiai, qu’on ne peut ni rapporter, ni même comparer à aucun des genres ou des espèces de l’ancien continent. Cela semble prouver assez que l’origine de ces animaux particuliers au nouveau monde ne peut être attribuée à la simple dégénération ; quelque grands, quelque puissants qu’on voulût en supposer les effets, on ne pourra jamais se persuader avec quelque apparence de raison que ces animaux aient été originairement les mêmes que ceux de l’ancien continent ; il est plus raisonnable de penser qu’autrefois les deux continents étaient contigus ou continus, et que les espèces qui s’étaient cantonnées dans ces contrées du nouveau monde, parce qu’elles en avaient trouvé la terre et le ciel plus convenables à leur nature, y furent renfermées et séparées des autres par l’irruption des mers lorsqu’elles divisèrent l’Afrique de l’Amérique[NdÉ 1] ; cette

  1. La question soulevée ici par Buffon est une des plus importantes parmi celles que discutent les zoologistes modernes. Elle peut être posée de la façon suivante : toutes les espèces animales et végétales ont-elles pris naissance dans un point unique du globe d’où elles se seraient répandues de proche en proche sur toutes parties de la terre, ou bien certaines espèces se sont-elles produites dans une région limitée tandis que d’autres naissaient sur des points différents ? En d’autres termes, faut-il admettre un seul ou plusieurs centres de formation des espèces animales ou végétales ? Linné professait la première opinion. Il s’était beaucoup préoccupé de mettre ses idées scientifiques d’accord avec les traditions bibliques. Il admettait que toutes les espèces animales recueillies par Noé dans son arche, avaient été déposées par lui sur le mont Ararat d’où elles s’étaient répandues dans toutes les régions du globe. Buffon entrevit la vérité ; l’observation attentive des caractères des animaux du nouveau monde comparés à ceux de l’ancien monde lui avait indiqué tellement de différences entre certains de ces êtres qu’il lui paraissait impossible d’admettre qu’ils eussent une origine commune. De là, à conclure que toutes les espèces propres au nouveau monde s’y étaient formées sur place, il n’y avait qu’un pas à faire. Buffon ne sut pas le franchir ; il n’admit cette formation sur place que pour une partie de ces espèces. Sous l’influence de la tradition biblique, il pensait que tous les animaux étaient originaires de l’ancien continent, ce qui le conduisit à supposer, avec raison d’ailleurs, que l’Amérique et l’Asie avaient, autrefois, communiqué l’une avec l’autre. Il admet donc que toutes les espèces du nouveau monde y sont venues à l’époque où il communiquait avec l’ancien ; mais parmi ces espèces il distingue celles qui ont des ressemblances marquées avec d’autres espèces de l’ancien monde, de celles qui n’ont nulle part leurs semblables. Il regarde les premières comme s’étant perfectionnées et différenciées sous l’influence du climat du nouveau monde, mais il est beaucoup plus embarrassé quand il s’agit d’expliquer l’origine des secondes, et il semble supposer qu’elles ont émigré vers le nouveau monde immédiatement après leur formation dans l’ancien. Il était bien plus simple de supposer qu’elles s’étaient formées sur place.

    Les nombreuses découvertes et observations faites depuis l’époque de Buffon ont montré que la solution de ces questions se trouve dans l’admission de plusieurs centres distincts de formation des espèces.

    Les centres admis aujourd’hui sont : 1o la région néotropicale, comprenant l’Amérique du Sud, le Mexique et les Indes occidentales. Buffon fait remarquer avec raison que les mam-