Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 2.djvu/40

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

converti en matière organique d’une seule espèce. La puissance active de la nature ne serait arrêtée que par la résistance des matières qui, n’étant pas toutes de l’espèce qu’il faudrait qu’elles fussent pour être susceptibles de cette organisation, ne se convertiraient pas en substance organique, et cela même nous prouve que la nature ne tend pas à faire du brut, mais de l’organique, et que, quand elle n’arrive pas à ce but, ce n’est que parce qu’il y a des inconvénients qui s’y opposent. Ainsi il paraît que son principal dessein est en effet de produire des corps organisés et d’en produire le plus qu’il est possible, car ce que nous avons dit de la graine d’orme peut se dire de tout autre germe, et il serait facile de démontrer que si, à commencer d’aujourd’hui, on faisait éclore tous les œufs de toutes les poules, et que pendant trente ans on eût soin de faire éclore de même tous ceux qui viendraient, sans détruire aucun de ces animaux, au bout de ce temps il y en aurait assez pour couvrir la surface entière de la terre, en les mettant tous près les uns des autres.

En réfléchissant sur cette espèce de calcul, on se familiarisera avec cette idée singulière que l’organique est l’ouvrage le plus ordinaire de la nature, et apparemment celui qui lui coûte le moins ; mais je vais plus loin : il me paraît que la division générale qu’on devrait faire de la matière est matière vivante et matière morte, au lieu de dire matière organisée et matière brute ; le brut n’est que le mort, je pourrais le prouver par cette quantité énorme de coquilles et d’autres dépouilles des animaux vivants qui font la principale substance des pierres, des marbres, des craies et des marnes, des terres, des tourbes, et de plusieurs autres matières que nous appelons brutes, et qui ne sont que les débris et les parties mortes d’animaux ou de végétaux ; mais une réflexion, qui me paraît être bien fondée, le fera peut-être mieux sentir.

Après avoir médité sur l’activité qu’a la nature pour produire des êtres organisés, après avoir vu que sa puissance à cet égard n’est pas bornée en elle-même, mais qu’elle est seulement arrêtée par des inconvénients et des obstacles extérieurs, après avoir reconnu qu’il doit exister une infinité de parties organiques vivantes qui doivent produire le vivant, après avoir montré que le vivant est-ce qui coûte le moins à la nature, je cherche quelles sont les causes principales de la mort et de la destruction, et je vois qu’en général les êtres qui ont la puissance de convertir la matière en leur propre substance, et de s’assimiler les parties des autres êtres, sont les plus grands destructeurs. Le feu, par exemple, a tant d’activité qu’il tourne en sa propre substance presque toute la matière qu’on lui présente ; il s’assimile et se rend propres toutes les choses combustibles ; aussi est-il le plus grand moyen de destruction qui nous soit connu. Les animaux semblent participer aux qualités de la flamme ; leur chaleur intérieure est une espèce de feu : aussi, après la flamme, les animaux sont les plus grands destructeurs, et ils