Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 2.djvu/39

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ferme nécessairement la comparaison avec une unité de grandeur ou de distance ; ainsi, lorsqu’une idée ne renferme qu’une comparaison, on doit la regarder comme simple, et dès lors comme ne contenant rien de contradictoire. Telle est l’idée du moule intérieur ; je connais dans la nature une qualité qu’on appelle pesanteur, qui pénètre les corps à l’intérieur, je prends l’idée du moule intérieur relativement à cette qualité ; cette idée n’enferme donc qu’une comparaison, et par conséquent aucune contradiction.

Voyons maintenant les conséquences qu’on peut tirer de cette supposition ; cherchons aussi les faits qu’on peut y joindre ; elle deviendra d’autant plus vraisemblable que le nombre des analogies sera plus grand, et, pour nous faire mieux entendre, commençons par développer, autant que nous pourrons, cette idée des moules intérieurs, et par expliquer comment nous entendons qu’elle nous conduira à concevoir les moyens de la reproduction.

La nature, en général, me paraît tendre beaucoup plus à la vie qu’à la mort : il semble qu’elle cherche à organiser les corps autant qu’il est possible ; la multiplication des germes, qu’on peut augmenter presqu’à l’infini, en est une preuve, et l’on pourrait dire, avec quelque fondement, que, si la matière n’est pas toute organisée, c’est que les êtres organisés se détruisent les uns les autres ; car nous pouvons augmenter, presque autant que nous voulons, la quantité des êtres vivants et végétants, et nous ne pouvons pas augmenter la quantité des pierres ou des autres matières brutes ; cela paraît indiquer que l’ouvrage le plus ordinaire de la nature est la production de l’organique, que c’est là son action la plus familière, et que sa puissance n’est pas bornée à cet égard.

Pour rendre ceci sensible, faisons le calcul de ce qu’un seul germe pourrait produire, si l’on mettait à profit toute sa puissance productrice ; prenons une graine d’orme qui ne pèse pas la centième partie d’une once : au bout de cent ans, elle aura produit un arbre dont le volume sera, par exemple, de dix toises cubes ; mais, dès la dixième année, cet arbre aura rapporté un millier de graines qui, étant toutes semées, produiront un millier d’arbres, lesquels, au bout de cent ans, auront aussi un volume égal à dix toises cubes chacun ; ainsi, en cent dix ans, voilà déjà plus de dix milliers de toises cubes de matière organique ; dix ans après, il y en aura 10 millions de toises, sans y comprendre les dix milliers d’augmentation par chaque année, ce qui ferait encore cent milliers de plus, et dix ans encore après il y en aura 10 000 000 000 000 de toises cubiques ; ainsi, en cent trente ans, un seul germe produirait un volume de matière organisée de mille lieues cubiques, car une lieue cubique ne contient que 10 000 000 000 toises cubes, à très peu près, et dix ans après un volume de mille fois mille, c’est-à-dire d’un million de lieues cubiques, et dix ans après un million de fois un million, c’est-à-dire 1 000 000 000 000 lieues cubiques de matière organisée ; en sorte qu’en cent cinquante ans le globe terrestre tout entier pourrait être