Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 2.djvu/43

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pas plus de substance à un point de l’intérieur qu’à un autre point, sans quoi certaines parties du tout se développeraient plus vite que d’autres, et dès lors la forme serait altérée. Or, que peut-il y avoir qui prescrive en effet à la matière accessoire cette règle, et qui la contraigne à arriver également et proportionnellement à tous les points de l’intérieur, si ce n’est le moule intérieur ?

Il nous paraît donc certain que le corps de l’animal ou du végétal est un moule intérieur qui a une forme constante, mais dont la masse et le volume peuvent augmenter proportionnellement, et que l’accroissement, ou, si l’on veut, le développement de l’animal ou du végétal, ne se fait que par l’extension de ce moule dans toutes ses dimensions extérieures et intérieures, que cette extension se fait par l’intussusception d’une matière accessoire et étrangère qui pénètre dans l’intérieur, qui devient semblable à la forme et identique avec la matière du moule[NdÉ 1].

Mais de quelle nature est cette matière que l’animal ou le végétal assimile à sa substance ? quelle peut-être la force ou la puissance qui donne à cette matière l’activité et le mouvement nécessaires pour pénétrer le moule intérieur ? et, s’il existe une telle puissance, ne serait-ce pas par une puissance semblable que le moule intérieur lui-même pourrait être reproduit ?

Ces trois questions renferment, comme l’on voit, tout ce qu’on peut demander sur ce sujet, et me paraissent dépendre les unes des autres, au point que je suis persuadé qu’on ne peut pas expliquer d’une matière satisfaisante la reproduction de l’animal ou du végétal, si l’on n’a pas une idée claire de la façon dont peut s’opérer la nutrition : il faut donc examiner séparément ces trois questions, afin d’en comparer les conséquences.

La première, par laquelle on demande de quelle nature est cette matière que le végétal assimile à sa substance, me paraît être en partie résolue par les raisonnements que nous avons faits, et sera pleinement démontrée par des observations que nous rapporterons dans les chapitres suivants. Nous ferons voir qu’il existe dans la nature une infinité de parties organiques vivantes, que les êtres organisés sont composés de ces parties organiques, que leur production ne coûte rien à la nature, puisque leur existence est constante et invariable, que les causes de destruction ne font que les séparer sans les détruire : ainsi la matière que l’animal ou le végétal assimile à sa substance est une matière organique qui est de la même nature que celle de l’animal ou du végétal, laquelle par conséquent peut en augmenter la masse

  1. La façon dont Buffon explique ici le rôle de son « moule intérieur » montre bien qu’il ne faut pas entendre ce mot dans son sens vulgaire. Buffon aurait pu le retrancher sans aucun inconvénient ; il ne s’en sert que comme d’un moyen de traduire sa pensée par l’image d’un objet tangible, et sa pensée, il n’est pas permis d’en douter, est celle-ci : chaque corps a une forme propre, et l’accroissement de ses diverses parties se fait d’une façon si intime et si régulière que cette forme ne subit aucune modification. Ainsi entendue, sa manière de voir est absolument juste.