Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 2.djvu/438

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petits, ces derniers périraient faute de soin presque aussitôt qu’ils seraient nés. On peut donc croire, avec quelque fondement, que ces jeunes mères ne font périr leur famille naissante que dans la crainte qu’on ne la leur ravisse, ou bien qu’elles veulent que ce dépôt précieux, que la nature leur a confié, ne doive son bien-être qu’à leurs propres soins.

Au reste, la femelle métisse de la seconde génération, dont nous parlons ici, a toujours été fort attachée à sa fille. Elle ne souffrait pas, comme on l’a déjà dit, que son mâle s’en approchât dès les commencements, et ce ne fut qu’au bout de plusieurs semaines qu’elle lui permit de prendre quelque part à l’éducation de leur petite compagne. Mais tous deux n’ont pas cessé depuis ce temps de lui donner leurs soins, ils ne la laissaient presque jamais aller seule, ils l’accompagnaient presque dans toutes ses démarches, ils la forçaient même quelquefois à se tenir au milieu d’eux en marchant, et ils touchaient rarement à la nourriture avant qu’elle n’en eût pris sa part. On leur donnait souvent des moutons entiers pour leur nourriture ; alors le père et la mère semblaient exciter leur petite compagne à s’en repaître la première ; mais lorsqu’elle ne pouvait pas entamer cette proie, le père et la mère lui donnaient la facilité d’en manger en l’entamant eux-mêmes.

Cette jeune femelle de la troisième génération, née le 4 mars 1779, n’a reçu qu’une éducation demi-domestique ; depuis sa naissance, elle a presque toujours été enfermée dans un vaste caveau avec son père et sa mère, d’où on ne les faisait sortir que quelquefois pour respirer dans une cour le grand air ; on se contentait de leur donner la nourriture à certaines heures, et on croyait inutile de donner à cette jeune femelle des mœurs familières et sociales, parce qu’en effet mon but, en conservant ces animaux, n’a été que d’observer le produit de leur génération. Aussi cette jeune femelle était-elle très timide et très sauvage, mais néanmoins elle n’était ni féroce ni méchante ; elle était, au contraire, d’un naturel tout à fait doux et paisible. Elle se plaisait même à jouer avec les chiens ordinaires, sans chercher à leur faire du mal, quoiqu’elle fût âgée de vingt-un mois, et qu’elle eût par conséquent déjà assez de force pour attaquer ou pour se défendre ; mais je dois remarquer que les chiens ne s’en approchaient qu’avec répugnance, et comme s’ils sentaient encore en elle l’odeur de leur ennemi. Si on entrait dans l’endroit où elle était enfermée, elle se contentait de se tapir à terre comme si elle se croyait alors bien cachée, de suivre avec des yeux inquiets tous les mouvements que l’on faisait, et de ne pas toucher à sa nourriture pendant qu’on la regardait. Si, lorsqu’on était auprès d’elle, on lui tournait le dos et qu’on laissât pendre ses mains, elle s’approchait doucement et venait les lécher ; mais dès qu’on se retournait de son côté, elle se retirait bien vite, et se tapissait de nouveau sur la terre, où on pouvait la toucher, lui prendre les oreilles et les pattes, et même lui ouvrir la gueule sans qu’elle montrât aucune envie de mordre. Si on lui donnait la liberté dans un jardin, elle n’était pas, à la