Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 2.djvu/437

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prenant encore ici l’analogie pour guide, il n’est guère possible de se refuser à croire que la gestation ne soit pas de même durée dans l’espèce du chien et dans celle du loup, puisque ces animaux se ressemblent à tant d’égards et ont tant de rapports entre eux qu’on ne peut pas douter qu’ils ne soient de même genre et d’espèces beaucoup plus voisines que celles de l’âne et du cheval : car ces derniers animaux ne produisent ensemble que des êtres qui ne peuvent se perpétuer par la génération, c’est-à-dire des êtres imparfaits auxquels la nature a refusé le plus précieux de ses dons, celui de vivre ou d’exister dans une postérité même au delà du terme de sa vie, tandis que le loup et le chien produisent, par leur union, des individus qui peuvent donner l’existence à d’autres individus, parce qu’ils sont doués de toutes les facultés nécessaires à la reproduction.

Quelques heures avant de mettre bas, cette femelle arrangea dans un coin, et avec beaucoup de soin, un lit de paille pour y déposer sa famille ; c’était un creux qui avait la forme d’un grand nid, lequel était défendu par un rebord élevé qui régnait tout autour. Lorsque les petits furent nés, elle s’empressa de s’acquitter envers eux de ses premiers devoirs de mère : elle ne cessa presque pas de les lécher, de les caresser, de chercher à les mettre à leur aise ; elle ne permettait pas à son mâle d’en approcher, et elle semblait craindre qu’il ne leur fît du mal ; mais cette sollicitude, ces marques de tendresse et d’affection maternelle ne furent pas de longue durée ; elles furent bientôt remplacées par une fureur barbare. Deux ou trois heures après leur naissance la personne qui devait soigner ces jeunes animaux fut assez curieuse pour aller les visiter ; elle voulut les toucher ou les manier pour les examiner de près, et il n’en fallut pas davantage pour irriter la mère qui se jeta tout aussitôt sur ces petits nouveau-nés, et les arracha des mains avec furie pour les dévorer ensuite et pour en faire sa proie, car elle les mangea comme s’ils eussent été sa nourriture ordinaire. Six de ces jeunes animaux qui furent ainsi touchés ou maniés eurent le même sort ; de manière qu’il ne nous resta de cette première portée que la jeune femelle dont nous donnons la description.

Nous observerons à ce sujet qu’il y a plusieurs animaux femelles qui dévorent ainsi les petits de leur première portée, lorsqu’on les touche au moment où ils viennent de naître : les truies sont principalement de ce nombre, et elles y sont plus sujettes qu’aucune autre femelle ; mais ces actes d’une barbarie atroce, quelque étranges qu’ils puissent être, ne sont néanmoins que le résultat d’un trop grand attachement, d’une affection trop excessive, ou plutôt d’une tendresse physique qui tient du délire : car la nature, en chargeant les mères du soin d’élever leur famille et de la nourrir de leur lait, les a douées en même temps d’affection et de tendresse ; sans cela, elle eût manqué son vrai but, qui est la conservation et la propagation des êtres, puisqu’en supposant les mères absolument dénuées d’affection pour leurs