Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 2.djvu/467

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en Italie, le renne chez les Lapons ; le lama, le paco et l’alco chez les Péruviens ; le dromadaire, le chameau et d’autres espèces de bœufs, de brebis et de chèvres chez les Orientaux ; l’éléphant même chez les peuples du Midi ; tous ont été soumis au joug, réduits en servitude ou bien admis à la société ; tandis que le sauvage, cherchant à peine la société de sa femelle, craint ou dédaigne celle des animaux. Il est vrai que de toutes les espèces que nous avons rendues domestiques dans ce continent, aucune n’existait en Amérique ; mais si les hommes sauvages dont elle était peuplée se fussent anciennement réunis, et qu’ils se fussent prêté les lumières et les secours mutuels de la société, ils auraient subjugué et fait servir à leur usage la plupart des animaux de leur pays : car ils sont presque tous d’un naturel doux, docile et timide ; il y en a peu de malfaisants et presque aucun de redoutable. Ainsi ce n’est ni par fierté de nature, ni par indocilité de caractère que ces animaux ont conservé leur liberté, évité l’esclavage ou la domesticité, mais par la seule impuissance de l’homme, qui ne peut rien en effet que par les forces de la société ; sa propagation même, sa multiplication en dépend. Ces terres immenses du nouveau monde n’étaient, pour ainsi dire, que parsemées de quelques poignées d’hommes, et je crois qu’on pourrait dire qu’il n’y avait pas dans toute l’Amérique, lorsqu’on en fit la découverte, autant d’hommes qu’on en compte actuellement dans la moitié de l’Europe. Cette disette dans l’espèce humaine faisait l’abondance, c’est-à-dire le grand nombre, dans chaque espèce des animaux naturels au pays ; ils avaient beaucoup moins d’ennemis et beaucoup plus d’espace ; tout favorisait donc leur multiplication, et chaque espèce était relativement très nombreuse en individus : mais il n’en était pas de même du nombre absolu des espèces ; elles étaient en petit nombre, et si on les compare avec celui des espèces de l’ancien continent, on trouvera qu’il ne va peut-être pas au quart, et tout au plus au tiers. Si nous comptons deux cents espèces d’animaux quadrupèdes[1] dans toute la terre habitable ou connue[NdÉ 1], nous en trouverons plus de cent trente espèces dans l’ancien continent, et moins de soixante-dix dans le nouveau ; et si l’on en ôtait encore les espèces communes aux deux continents, c’est-à-dire celles seulement qui par leur nature peuvent supporter le froid, et qui ont pu communiquer par les terres du nord de ce continent dans l’autre, on ne trouvera guère que quarante espèces d’animaux propres et naturels aux terres du nouveau monde. La nature vivante y est donc beaucoup moins agissante, beaucoup moins variée, et nous pouvons même dire beaucoup moins forte : car nous verrons, par l’énumération des animaux de l’Amérique, que

  1. M. Linnæus, dans sa dernière édition, Holm, 1758, n’en compte que cent soixante-sept. M. Brisson, dans son Règne animal, en indique deux cent soixante, mais il faut en retrancher peut-être plus de soixante, qui ne sont que des variétés et non pas des espèces distinctes et différentes.
  1. Le nombre aujourd’hui connu dépasse douze cents.