Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 2.djvu/480

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les plus vifs sur cette masse froide, elle est hors d’état de répondre à son ardeur ; elle ne produira que des êtres humides, des plantes, des reptiles, des insectes, et ne pourra nourrir que des hommes froids et des animaux faibles.

C’est donc principalement parce qu’il y avait peu d’hommes en Amérique, et parce que la plupart de ces hommes, menant la vie des animaux, laissaient la nature brute et négligeaient la terre, qu’elle est demeurée froide, impuissante à produire les principes actifs, à développer les germes des plus grands quadrupèdes auxquels il faut, pour croître et se multiplier, toute la chaleur, toute l’activité que le soleil peut donner à la terre amoureuse ; et c’est par la raison contraire que les insectes, les reptiles et toutes les espèces d’animaux qui se traînent dans la fange, dont le sang est de l’eau, et qui pullulent par la pourriture, sont plus nombreuses et plus grandes dans toutes les terres basses, humides et marécageuses de ce nouveau continent.

Lorsqu’on réfléchit sur ces différences si marquées qui se trouvent entre l’ancien et le nouveau monde, on serait tenté de croire que celui-ci est en effet bien plus nouveau, et qu’il a demeuré plus longtemps que le reste du globe sous les eaux de la mer : car à l’exception des énormes montagnes qui le bornent vers l’Ouest, et qui paraissent être des monuments de la plus haute antiquité du globe, toutes les parties basses de ce continent semblent être des terrains nouvellement élevés et formés par le dépôt des fleuves et le limon des eaux : on y trouve en effet, en plusieurs endroits, sous la première couche de la terre végétale, les coquilles et les madrépores de la mer, formant déjà des bancs, des masses de pierre à chaux, mais d’ordinaire moins dures et moins compactes que nos pierres de taille, qui sont de même nature. Si ce continent est réellement aussi ancien que l’autre, pourquoi y a-t-on trouvé si peu d’hommes ? pourquoi y étaient-ils presque tous sauvages et dispersés ? pourquoi ceux qui s’étaient réunis en société, les Mexicains et les Péruviens, ne comptaient-ils que deux ou trois cents ans depuis le premier homme qui les avait rassemblés ? pourquoi ignoraient-ils encore l’art de transmettre à la postérité les faits par des signes durables, puisqu’ils avaient déjà trouvé celui de se communiquer de loin leurs idées, et de s’écrire en nouant des cordons ? Pourquoi ne s’étaient-ils pas soumis les animaux, et ne se servaient-ils que du lama et du pacos, qui n’étaient pas, comme nos animaux domestiques, résidants, fidèles et dociles ? Leurs arts étaient naissants comme leur société, leurs talents imparfaits, leurs idées non développées, leurs organes rudes et leur langue barbare ; qu’on jette les yeux sur la liste des animaux[1], leurs noms sont presque tous si difficiles à prononcer, qu’il est étonnant que les Européens aient pris la peine de les écrire.

  1. Pelon ichiatl oquitli. — Le lama.

    Tapiierete au Brésil, maypoury ou manipouris à la Guyane. — Le tapir.

    Tamandua-guacu au Brésil, ouariri à la Guyane. — Le tamanoir.

    Ouatiriouaou à la Guyane. — Le fourmilier.