Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 2.djvu/479

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est moindre et moins constante, le vent d’est n’y arrivant qu’après s’être rafraîchi sur les eaux et chargé de vapeurs humides. Les nuages qui interceptent la lumière et la chaleur du soleil, les pluies qui rafraîchissent l’air et la surface de la terre sont périodiques et durent plusieurs mois à Cayenne et dans les autres contrées de l’Amérique méridionale. Cette première cause rend donc toutes les côtes orientales de l’Amérique beaucoup plus tempérées que l’Afrique et l’Asie ; et lorsque après être arrivé frais sur ces côtes, le vent d’est commence à reprendre un degré plus vif de chaleur en traversant les plaines de l’Amérique, il est tout à coup arrêté, refroidi par cette chaîne de montagnes énormes dont est composée toute la partie occidentale du nouveau continent ; en sorte qu’il fait encore moins chaud sous la ligne au Pérou qu’au Brésil et à Cayenne, etc., à cause de l’élévation prodigieuse des terres : aussi les naturels du Pérou, du Chili, etc., ne sont que d’un brun rouge et tanné moins foncé que celui des Brésiliens. Supprimons pour un instant la chaîne des Cordillères, ou plutôt rabaissons ces montagnes au niveau des plaines adjacentes, la chaleur eût été excessive vers ces terres occidentales, et l’on eût trouvé les hommes noirs au Pérou et au Chili tels qu’on les trouve sur les côtes occidentales de l’Afrique.

Ainsi, par la seule disposition des terres de ce nouveau continent, la chaleur y serait déjà beaucoup moindre que dans l’ancien ; et en même temps nous allons voir que l’humidité y est beaucoup plus grande. Les montagnes étant les plus hautes de la terre, et se trouvant opposées de face à la direction du vent d’est, arrêtent, condensent toutes les vapeurs de l’air, et produisent par conséquent une quantité infinie de sources vives qui par leur réunion forment bientôt des fleuves les plus grands de la terre : il y a donc beaucoup plus d’eaux courantes dans le nouveau continent que dans l’ancien, proportionnellement à l’espace ; et cette quantité d’eau se trouve encore prodigieusement augmentée par le défaut d’écoulement ; les hommes n’ayant ni borné les torrents, ni dirigé les fleuves, ni séché les marais, les eaux stagnantes couvrent des terres immenses, augmentent encore l’humidité de l’air et en diminuent la chaleur : d’ailleurs la terre étant partout en friche et couverte dans toute son étendue d’herbes grossières, épaisses et touffues, elle ne s’échauffe, ne se sèche jamais ; la transpiration de tant de végétaux, pressés les uns contre les autres, ne produit que des exhalaisons humides et malsaines ; la nature, cachée sous ses vieux vêtements, ne montra jamais de parure nouvelle dans ces tristes contrées ; n’étant ni caressée ni cultivée par l’homme, jamais elle n’avait ouvert son sein bienfaisant ; jamais la terre n’avait vu sa surface dorée de ces riches épis qui font notre opulence et sa fécondité. Dans cet état d’abandon tout languit, tout se corrompt, tout s’étouffe ; l’air et la terre, surchargés de vapeurs humides et nuisibles, ne peuvent s’épurer ni profiter des influences de l’astre de la vie ; le soleil darde inutilement ses rayons