Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 2.djvu/73

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blera plus au père qu’à la mère, et au contraire : on pouvait lui demander : qu’est-ce qui arrive lorsque l’un fournit sa semence faible et l’autre sa semence forte ? Je ne vois pas ce qu’il pourrait répondre, et cela seul suffit pour faire rejeter cette opinion de l’existence de deux semences dans chaque sexe.

Voici comment se fait, selon lui, la formation du fœtus : les liqueurs séminales se mêlent d’abord dans la matrice, elles s’y épaississent par la chaleur du corps de la mère, le mélange reçoit et tire l’esprit de la chaleur, et lorsqu’il en est tout rempli, l’esprit trop chaud sort au dehors, mais par la respiration de la mère il arrive un esprit froid, et alternativement il entre un esprit froid et il sort un esprit chaud dans le mélange, ce qui lui donne la vie et fait naître une pellicule à la surface du mélange, qui prend une forme ronde, parce que les esprits, agissant du milieu comme centre, étendent également de tous côtés le volume de cette matière. J’ai vu, dit ce grand médecin, un fœtus de six jours ; c’était une bulle de liqueur enveloppée d’une pellicule ; la liqueur était rougeâtre et la pellicule était semée de vaisseaux, les uns sanguins, les autres blancs, au milieu de laquelle était une petite éminence que j’ai cru être les vaisseaux ombilicaux par où le fœtus reçoit l’esprit de la respiration de la mère et la nourriture : peu à peu il se forme une autre enveloppe de la même façon que la première pellicule s’est formée. Le sang menstruel qui est supprimé fournit abondamment à la nourriture, et ce sang fourni par la mère au fœtus se coagule par degrés et devient chair ; cette chair s’articule à mesure qu’elle croît ; et c’est l’esprit qui donne cette forme à la chair. Chaque chose va prendre sa place, les parties solides vont aux parties solides, celles qui sont humides vont aux parties humides, chaque chose cherche celle qui lui est semblable, et le fœtus est enfin entièrement formé par ces causes et ces moyens.

Ce système est moins obscur et plus raisonnable que celui d’Aristote, parce qu’Hippocrate cherche à expliquer la chose particulière par des raisons particulières, et qu’il n’emprunte de la philosophie de son temps qu’un seul principe général, savoir : que le chaud et le froid produisent des esprits, et que ces esprits ont la puissance d’ordonner et d’arranger la matière ; il a vu la génération plus en médecin qu’en philosophe, Aristote l’a expliquée plutôt en métaphysicien qu’en naturaliste : c’est ce qui fait que les défauts du système d’Hippocrate sont particuliers et moins apparents, au lieu que ceux du système d’Aristote sont des erreurs générales et évidentes.

Ces deux grands hommes ont eu chacun leurs sectateurs : presque tous les philosophes scolastiques, en adoptant la philosophie d’Aristote, ont aussi reçu son système sur la génération ; presque tous les médecins ont suivi le sentiment d’Hippocrate, et il s’est passé dix-sept ou dix-huit siècles sans qu’il ait rien paru de nouveau sur ce sujet. Enfin, au renouvellement des