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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome VI.djvu/480

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454 ŒUVRES COMPLÈTES DE BUFFON.

tion dans cette espèce que dans toute autre, et même plus forts dans le mâle qui chante que dans la femelle qui ne chante point.

Aristote et Pline d’après lui disent que le chant du rossignol dure dans toute sa force quinze jours et quinze nuits, sans interruption, dans le temps où les arbres se couvrent de verdure, ce qui doit ne s’entendre que des rossignols sauvages et n’être pas pris à la rigueur, car ces oiseaux ne sont pas muets avant ni après l’époque fixée par Aristote : à la vérité, ils ne chantent pas alors avec autant d’ardeur ni aussi constamment ; ils commen- cent d’ordinaire au mois d’avril, et ne finissent tout à fait qu’au mois de juin, vers le solstice ; mais la véritable époque où leur chant diminue beau- coup, c’est celle où leurs petits viennent à éclore, parce qu’ils s’occupent alors du soin de les nourrir, et que dans l’ordre des instincts la nature a donné la prépondérance à ceux qui tendent à la conservation des espèces. Les rossignols captifs continuent de chanter pendant neuf ou dix mois, et leur chant est non seulement plus longtemps soutenu, mais encore plus parfait et mieux formé : de là M. Barrington tire cette conséquence, que dans cette espèce, ainsi que dans bien d’autres, le mâle ne chante pas pour amuser sa femelle ni pour charmer ses ennuis durant l’incubation, consé- quence juste et de toute vérité. En effet, la femelle qui couve remplit cette fonction par un instinct, ou plutôt par une passion plus forte en elle que la passion même de l’amour ; elle y trouve des jouissances intérieures dont nous ne pouvons bien juger, mais qu’elle parait sentir vivement, et qui ne permettent pas de supposer que dans ces moments elle ait besoin de conso- lation. Or, puisque ce n’est ni par devoir ni par vertu que la femelle couve, ce n’est point non plus par procédé que le mâle chante ; il ne chante pas en effet durant la seconde incubation : c’est l’amour, et surtout la première période de l’amour, qui inspire aux oiseaux leur ramage ; c’est au prin- temps qu’ils éprouvent et le besoin d’aimer et celui de chanter ; ce sont les mâles qui ont le plus de désirs, et ce sont eux qui chantent le plus ; ils chantent la plus grande partie de l’année, lorsqu’on sait faire régner autour d’eux un printemps perpétuel qui renouvelle incessamment leur ardeur, sans leur offrir aucune occasion de l’éteindre ; c’est ce qui arrive aux ros- signols que l’on tient en cage, et même, comme nous venons de le dire, à ceux que l’on prend adultes ; on en a vu qui se sont mis à chanter de toutes leurs forces peu d’heures après avoir été pris. Il s’en faut bien cependant qu’ils soient insensibles à la perte de leur liberté, surtout dans les commen- cements ; ils se laisseraient mourir de faim les sept ou huit premiers jours, si on ne leur donnait la becquée ; et ils se casseraient la tête contre le pla- fond de leur cage, si on ne leur attachait les ailes ; mais à la longue la pas- sion de chanter l’emporte, parce qu’elle est entretenue par une passion plus profonde. Le chant des autres oiseaux, le son des instruments, les accents d’une voix douce et sonore, les excitent aussi beaucoup ; ils accourent, ils