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LE ROSSIGNOL. 455

s’approchent, attirés par les beaux sons, mais les duos semblent les attirer encore plus puissamment, ce qui prouverait qu’ils ne sont pas insensibles aux effets de l’harmonie ; ce ne sont point des auditeurs muets, ils se met- tent à l’unisson et font tous leurs efforts pour éclipser leurs rivaux, pour couvrir toutes les autres voix et même tout les autres bruits : on prétend qu’on en a vu tomber morts aux pieds de la personne qui chantait ; on en a vu un autre qui s’agitait, gonflait sa gorge et faisait entendre un gazouille- ment de colère toutes les fois qu’un serin qui était près de lui se disposait à chanter, et il était venu à bout par ses menaces de lui imposer silence (a), tant il est vrai que la supériorité n’est pas toujours exempte de jalousie ! Serait-ce par une suite de cette passion de primer, que ces oiseaux sont si attentifs à prendre leurs avantages, et qu’ils se plaisent à chanter dans un lieu résonnant, ou bien à portée d’un écho ?

Tous les rossignols ne chantent pas également bien : il y en a dont le ra- mage est si médiocre, que les amateurs ne veulent point les garder ; on a même cru s’apercevoir que les rossignols d’un pays ne chantaient pas comme ceux d’un autre ; les curieux en Angleterre préfèrent, dit-on, ceux de la province de Surrey à ceux de Middlesex, comme ils préfèrent les pin- sons de la province d’Essex et les chardonnerets de celle de Kent. Cette di- versité de ramage dans des oiseaux d’une même espèce a été comparée, avec raison, aux différences qui se trouvent dans les dialectes d’une même langue : il est difficile d’en assigner les vraies causes, parce que la plupart sont accidentelles. Un rossignol aura entendu, par hasard, d’autres oiseaux chanteurs, les efforts que l’émulation lui aura fait faire auront perfectionné son chant, et il l’aura transmis ainsi perfectionné à ses descendants ; car chaque père est le maître à chanter de ses petits (b) ; et l’on sent combien, dans la suite des générations, ce même chant peut être encore perfectionné ou modifié diversement par d’autres hasards semblables.

Passé le mois de juin, le rossignol ne chante plus, et il ne lui reste qu’un cri rauque, une sorte de croassement, où l’on ne reconnaît point du tout la mélodieuse Philomèle ; et il n’est pas surprenant qu’autrefois, en Italie, on lui donnât un autre nom dans cette circonstance (c) : c’est en effet un autre

(a) Note de M. de Varicourt, avocat. M. le Moine, trésorier de France, à Dijon, qui met son plaisir à élever des rossignols, a aussi remarqué que les siens poursuivaient avec colère un serin privé qu’il avait dans la même chambre, lorsque celui-ci s’approchait de leur cage ; mais cette jalousie se tourne quelquefois en émulation ; car on a vu des rossignols qui chan- taient mieux que les autres uniquement parce qu’ils avaient entendu des oiseaux qui ne chan- taient pas si bien qu’eux. « Certant inter se, palàmque animosa contentio est : victa morte finit sæpe vitam. » Pline, lib. x, cap. xxix. On a cru les entendre chanter entre eux des espèces de duos à la tierce.

(b) « Plures singulis sunt cantus et non iidem omnibus. » Pline, lib. x, cap. xxix. — « Jam vero luscinia pullos suos docere, visa est... Audit discipula... et reddit ; intelligitur emendata correctio, et in docente quædam reprehensio. » Ibid., lib. iv, cap. ix.

(c) « Adultâ æstate, vocem mittit diversam, non etiam variam aut celerem, modulatamque,