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LE CURÉ LABELLE

térieuses influences j’ai senti m’agiter, comme si je préludais à une existence nouvelle, avant-goût de celle où le beau, dégagé enfin des ombres et du mystère, se dévoile dans toute sa splendeur !

Un souffle tiède et néanmoins vivifiant parcourait toutes les artères de la petite ville : on eût dit le souffle précurseur des grandes transformations prochaines qu’avait si longtemps rêvées et préparées l’infatigable artisan du nord ; on eût dit l’âme dont il l’avait animé, pendant près d’un quart de siècle, palpitant à l’approche de quelque enfantement gigantesque.

Mais maintenant le curé Labelle était las. Il avait passé par tant d’orages et livré tant de combats pour « son peuple », qu’il se sentait rapidement descendre le versant de la vie. Que lui restait-il à faire désormais ? Son œuvre accomplie, ou bien près de l’être, lui-même devait maintenant s’effacer. Ce n’est pas qu’il eût à vrai dire le pressentiment obscur de sa fin prochaine, mais il n’était plus le même homme, il subissait sous ses propres yeux comme une éclipse de sa personne, éclipse plus ou moins agrandie, plus ou moins diminuée selon les jours, mais constante et désormais entée sur sa vie comme une ombre inséparable.