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Page:Buies - Au portique des Laurentides, 1891.djvu/83

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LE CURÉ LABELLE

Cette fois, il ne parlait pas tout seul, mais il marchait les mains derrière le dos et les yeux tournés vers les étoiles. En me voyant : « Tiens, » me dit-il vivement et comme poussé par une impulsion subite, « quand j’aurai pu enfin donner à mon pauvre peuple du nord son chemin de fer, quand j’aurai organisé complètement le département de la Colonisation et de l’Agriculture, que j’aurai vu adopter et mettre en voie d’exécution les réformes et les créations nécessaires, alors il sera temps pour moi de mourir, je pourrai dire à Dieu Nunc dimittis servum tuum, Domine, et je m’en irai parfaitement résigné, confiant et espérant. » Sur ce dernier mot, le curé pencha longuement sa tête sur sa large poitrine, comme pour regarder de plus près la terre qui devait l’engloutir tout entier et y suivre d’avance par la pensée le long émiettement de lui-même, la tranquille et minutieuse absorption par la nature de ce qu’elle avait elle-même fait éclore, le même patient et laborieux travail pour détruire qu’elle avait mis de soin et de perfection pour édifier.

Nous étions alors à la fin d’octobre 1889, il y a dix-huit mois à peine. Que de choses, que de