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MORT DE PAPINEAU



Lundi matin le télégraphe nous annonçait la douloureuse nouvelle qui a répandu le deuil dans tous les cœurs canadiens. Ce n’était pas seulement un grand homme qui mourait ; depuis longtemps le pays regrettait l’orateur illustre, le patriote indomptable, héroïque, qui l’avait comme tenu tout entier dans son âme au temps des sanglantes épreuves, et qui l’avait arraché à toutes les oppressions, en payant sa liberté par l’exil et souvent même par l’ingratitude.

Le grand homme, l’orateur avait disparu depuis près de vingt ans, et ce n’est pas lui que nous pleurons aujourd’hui. Ce que nous pleurons, c’est le dernier représentant de la vertu publique, c’est la glorieuse image, maintenant effacée, d’un temps où il y avait encore des caractères, de la grandeur morale.

Toute une époque disparaît à nos yeux, l’époque où il y eut vraiment un esprit national, un peuple canadien. Cet esprit, ce peuple, M. Papineau le résumait tout entier. Pas un souvenir de notre histoire pendant vingt-cinq ans qui ne lui appartienne et que son nom ne rehausse : il était une personnification, un symbole, et comme le génie tutélaire de nos destinées.

Jamais homme n’a été autant que lui une idée vivante ; la Grèce confondue avec Démosthène, l’Irlande confondue avec O’Connell, c’était le Canada unissant sa vie, ses forces, ses aspirations, ses espérances dans