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CHRONIQUES

Nos voisins, qui ne perdent pas une minute la semaine, sont fort aises d’avoir une journée dont ils ne savent que faire. Or, comme l’oisiveté est la mère de tous les vices, c’est précisément le dimanche qu’on voit le plus de pochards titubant dans les rues et de vauriens parcourant par légions les banlieues des villes, en rendant les promenades inaccessibles aux gens tranquilles qui cherchent l’air libre.

C’est ce qu’on appelle en langue ordinaire keeping Sabbath day. Je ne suis pas dans les secrets de la divinité, mais je gagerais fort qu’elle est peu sensible à cet honneur. Cette espèce d’observation du dimanche est le fruit direct du puritanisme, morale pointue qui visse l’humanité dans une boîte à clous pour la rendre irréprochable. Entre nous, vaut mieux avoir quelques défauts, ce qui donne l’occasion de s’en corriger, que des vertus de convention qui vous immobilisent.

« Le puritanisme, dit notre confrère du Messchacébé, est à la vertu ce que la gloriole est à la gloire, c’est-à-dire une affectation. Ce faux système ne tient aucun compte de la nature humaine, de ses passions, de ses faiblesses, et pose aux sociétés imparfaites un idéal inaccessible, prétendant les lancer vers un sommet ardu et héroïque. »

En effet, il faut être un héros très ardu pour passer un dimanche dans les villes de la Nouvelle-Angleterre sans y mourir d’ennui ou de dégoût. Un dimanche dans Boston ou dans Philadelphie équivaut à un apprentissage de croquemort. Les vrais puritains ont ce jour-là la rigidité cadavérique, et, s’il y avait quelque vertu pour eux à s’envelopper d’un suaires je suis certain qu’ils le feraient. À défaut de la chose même, ils