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CHRONIQUES

supposez-le chargé de famille comme il arrive d’ordinaire ; supposez-le entouré d’enfants qui ne peuvent, à cause de leur âge, contribuer à grossir le revenu de la maison, et vous aurez bientôt une explication du paupérisme des campagnes.

Le paysan anglais, logé tant bien que mal, n’est ni vêtu ni nourri, et vous savez pourtant tout ce qu’un anglais peut absorber de bœuf ; on a calculé que la consommation est, en Angleterre, d’un tiers plus considérable que sur le continent, toutes proportions gardées. Quant aux vêtements, le peuple n’en a pas à lui ; il use lamentablement la défroque des classes aisées. Je viens de lire, parmi les faits ressortant d’une des dernières enquêtes agricoles, celui d’un vieux paysan qui a déclaré n’avoir jamais mis de chaussures neuves, sauf une paire de guêtres qu’il se rappelait avec une joie enfantine.

Eh bien ! malgré toutes ses misères, le paysan anglais n’est pas encore prêt à faire une révolution, ni à brûler les plus beaux édifices de Londres pour se venger de ses landlords. L’agitation créée par les grèves du Warwickshire restera pacifique et mènera à une réforme considérable des salaires, sans le secours du pétrole. C’est que le paysan anglais est patient, docile, réfléchi ; il se laisse prêcher, caserner, réglementer : on peut faire sur lui toutes les expériences sociales, le soumettre à tous les essais oratoires, à toutes les conférences, sans lui inspirer de haine pour les classes aisées. Il ira dans les clubs ou aux public-houses, et se fera servir son thé entre deux lectures pieuses, tandis que son frère, l’ouvrier de France, ira aux clubs pour tâcher de démolir les cloisons.