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CHRONIQUES

régime constitutionnel et par suite les majorités parlementaires. Si Archimède eût connu tout cela, il eût douté de la puissance du levier, il aurait craint surtout de l’appliquer à une assemblée de représentants ; il n’y a pas de levier au monde qui puisse soulever une majorité parlementaire aplatie.

Nous venons de le voir. Certes, s’il est un instrument puissant dans notre pays, s’il est un levier avec lequel on puisse tout entreprendre hardiment, c’est bien l’idée religieuse. Eh bien ! dès le premier effort, ce levier a cassé entre les mains de ceux qui le tenaient et la masse parlementaire est restée inerte. Ce spectacle inouï nous révèle des épaisseurs mystérieuses dans la nature humaine et entr’ouvre à nos yeux un abîme de doutes. Depuis que des représentants catholiques du Bas-Canada ont voté contre la motion Costigan, il me semble que la terre a rebroussé chemin dans son orbite et qu’elle se précipite à toute vitesse dans l’anneau de Saturne. Ce vote est un « effondrement, » dirait Victor Hugo.

Mon cher directeur, entre nous, je puis bien vous le dire, je suis blasé ; j’avoue que je ne trouve plus la moindre émotion, même à la lecture de l’Union des Cantons de l’Est. Quand on a été contemporain de la guerre civile des États-Unis, de la guerre franco-allemande, du voyage de M. Langevin dans la Colombie Anglaise et de l’érection d’un nouveau bureau de poste dans Québec, on finit par avoir les nerfs comme de la charpie, et l’on trouve qu’on a assez vécu.