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CHRONIQUES

Avoir assez vécu ! On en a toujours de reste ; qu’est-ce que la vie en somme ? Voici une définition nouvelle : « C’est la réunion de toutes les circonstances qui triomphent momentanément de la mort. » En vérité il sert peu de faire une pareille lutte, et de se dire à soi-même qu’on n’est qu’un « ensemble de circonstances. »

Je me suis amusé, ces jours-ci, à lire des annonces et des enseignes. Vous dire les trouvailles que j’ai faites est chose impossible ; ce qu’il y a d’ineffabilités dans ce style est incroyable ! L’annonce est un signe manifeste de la décadence des peuples ! Que diraient les Peaux-Rouges, eux dont le silence est si éloquent, en présence de ces réclames patibulaires, bouffies, grotesques, qui remplissent un cinquième des journaux ? Nous faisons montre de notre civilisation et, pour la faire valoir, nous avons imaginé la réclame. C’est devenu une nécessité. Aujourd’hui rien ne vaut sans cet attirail de grelots fêlés qu’on attache à tout ce qui se vend.

Nombre de nos confrères ne peuvent plus se faire habiller et chausser qu’à la condition de faire de la colonne des entrefilets une quasi-succursale des boutiques de cordonniers et de tailleurs. Ce qui m’attriste, c’est que ça les paie bien au-delà de ce qu’ils valent. J’ai toujours échappé, pour moi, à cette prostitution de ma plume ; mais, en revanche, les tailleurs et les bottiers me conspuent.

Les philosophes ont toujours prétendu qu’il y a en ce