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CHRONIQUES

monde deux puissances, l’idée et la force. Bismark a l’une. Qui a l’autre ? Le parti national.

La force a en son pouvoir la forme matérielle du monde. Elle a les arcs de triomphe, les illuminations commandées et les clefs des villes. Elle a toujours quelque peu pris d’assaut, sous une forme ou sous une autre, la porte qui s’ouvre complaisamment devant elle, et elle se fait apporter sur un plat d’argent l’enthousiasme des populations. En un mot, elle plante sur la muraille humaine l’épée violente de Sadowa et de Sédan.

L’idée, elle, a l’âme du monde pour territoire et pour empire. Où est son origine ? nulle part. Où est son triomphe ? partout. Elle est ce qu’on n’attend pas et ce qu’on accueille. Elle est la victorieuse universelle et éternelle ; Elle est le verbe, le premier vers d’Homère, l’épée flamboyante de l’archange.

Sous ce dernier rapport, Québec, la capitale, où je viens de faire une petite excursion, est une ville bien gardée. Ses murailles, impuissantes contre le canon, la protègent admirablement contre le verbe ou contre le premier vers d’Homère. Elle est précisément l’endroit où peut s’éterniser le gouvernement provincial dans sa constitution actuelle.

La capitale a l’air d’une nécropole où le voyageur vient ressusciter par la pensée un monde disparu. Cependant, du milieu de ses ruines s’échappent de charmantes fleurs, comme des flancs d’un tertre tumulaire on voit s’élancer les douces marguerites. Elles ne vivent pas longtemps, il est vrai ; l’odeur de cimetière les tue ; mais, pour un jour qu’elles défient la mort, elles se pa-