Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/181

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
181
CHRONIQUES

trouvent sont déjà, depuis trois semaines, remplies d’étrangers. Avec eux nous n’avons, nous, habitants de la Pointe-aux-Pics, aucune espèce de rapports, et nous ne les voyons qu’à l’arrivée du vapeur, quatre fois par semaine ; ce sont des sauvages qui vont se jucher près des nues pour échapper aux infirmités humaines ; je ne sais pas comment ils s’y amusent, mais à coup sûr il leur faut des fourrures.

Il y a encore la Malbaie proprement dite, nom qui, chaque année, se restreint de plus en plus à l’estuaire que forme la rivière avant de se jeter dans le fleuve, et au village qui la borde. Là, pas un étranger, quoique ce soit un des sites les plus ravissants qui existent. On ne se doute pas en vérité de ce qu’est cet ensemble formé des paysages les plus variés, les plus dissemblables, et qui se complètent l’un l’autre en empruntant à la nature seule leur merveilleuse harmonie. C’est une petite Suisse avec les proportions même scrupuleusement gardées, et peut-être une variété d’aspects plus prolifique.

On s’étonne de trouver un pareil endroit sur l’aride, monotone, dure et rébarbative côte du nord ; on dirait un sourire égaré sur la figure d’un vieillard en courroux, ou bien un îlot parfumé s’échappant tranquille au milieu des convulsions de la tempête.

Le Cap-à-l’Aigle domine la Malbaie et tous ses environs, j’entends ici, par environs, une étendue de quarante lieues, comprenant devant soi le fleuve profond aux fréquentes furies et aux apaisements réparateurs ;