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CHRONIQUES

de toutes parts ; on dirait un concert d’une harmonie tantôt silencieuse, tantôt éclatante, qui monte vers le ciel réjoui. Ah ! qu’ils sont à plaindre les habitants des villes à qui ce spectacle est refusé ! Et pourtant, au milieu de ce calme fortuné, dans cet épanouissement muet de la création, l’homme s’agite, l’homme livré aux tristes passions du jour, à l’agitation maladive de l’espoir et de la crainte.

D’un bout du pays à l’autre, le cri des ambitieux a retenti jusque dans les paisibles demeures : c’est le temps des élections.

Je n’approuve pas qu’on fasse des élections quand les oiseaux gazouillent, quand les prés fleurissent et qu’on entasse dans les granges le foin odorant, dépouille des prairies dorées. La politique n’a rien à faire avec le bucolisme, et ce sera toujours le fait d’un mauvais gouvernement que d’émettre des brefs d’élection avant que tous les grains soient récoltés. Pourquoi troubler la béate quiétude des campagnes par un jargon politique imité des Vandales ! J’ai entendu ici des discours de trois heures qui vous feraient reculer d’épouvante, vous, habitants raffinés des villes ; je vois des candidats partir la nuit pour de petits townships situés à huit lieues dans les montagnes. Quels antropophages ! Rien n’est sacré pour un candidat, sa personne encore moins que le reste ; voilà de l’égoïsme savant. Dire que je l’admire, non, mais j’en suis émerveillé. J’ai vu de ces ambitieuses victimes pouvoir à peine ouvrir une gorge enrouée par trois ou quatre speechs quotidiens, et se mettre encore hardiment à pérorer pendant deux heures devant un auditoire insatiable.

Dans le comté de Charlevoix, la lutte, comme vous