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CHRONIQUES

quelque pan de mur écroulé ; quelques-unes ont été entièrement démolies. À un endroit, une vaste colline de sable de deux cents pieds de hauteur s’est effondrée ; le sable a été emporté à quatre arpents plus loin, déracinant et entraînant avec lui un verger tout entier dans sa course furibonde. Sur le chemin qu’il a traversé, il y a maintenant une côte, et, plus loin, on voit les troncs d’arbres du verger qui repoussent ça et là, et des tiges, arrachées de toutes parts, qui reprennent racine dans un sol nouveau. On dit que la langue de terre, d’un demi-mille environ, sablonneuse et montueuse, qui s’avance du rivage dans le fleuve, et au bout de laquelle se trouve le quai, a été formée également par un tremblement de terre dont le souvenir épouvante encore les gens des Éboulements, et dont le récit est resté une de leurs traditions. L’Île aux Coudres, qui est en face, est encore l’effet, paraît-il, d’une convulsion semblable. Qui le dirait pourtant ? Cette île, avec son dos arrondi, ses rivages plats, ses champs qu’aucun rocher n’accidente, semblerait plutôt avoir été formée dans un jour de tendresse et de quiétude. Mais les tremblements de terre sont les plus trompeurs des cataclysmes.

Je suis arrivé ici à trois heures du matin, par une nuit noire comme la conscience d’un ministre fédéral. Les grandes ombres des montagnes, mêlées aux ténèbres dans un vague farouche, pendaient sur le fleuve comme des robes de fantômes silencieux ; l’aurore essayait en vain de percer un coin de la voûte épaisse du ciel, et la longue ligne blanche du quai se dessinait péniblement