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CHRONIQUES

Mais il ne faut pas juger de tout l’endroit par ce tableau de la seule habitation qui se trouve près du quai. Rien de plus pittoresque, de plus original, de plus accidenté que cette montée de la rive au village. C’est sauvage et dur, mais c’est charmant.

Les gens de ce pays sont comme la nature qui les entoure ou plutôt qui les domine. L’homme, c’est là une vérité vulgaire, subit toujours l’influence du milieu où il vit ; l’habitant de la Baie Saint-Paul, de l’Île aux Coudres ou des Éboulements, comme les sauvages d’autrefois, est hospitalier, serviable, poli, mais c’est une bête féroce dans la colère. Alors il devient horrible, ne recule devant rien et se plonge dans le carnage. On n’oubliera de longtemps, dans le comté de Charlevoix, les scènes sanglantes qui ont marqué presque toutes les élections depuis un grand nombre d’années. On y vit, il y a quinze ans, un millier d’hommes qui se battirent pendant toute une après-midi ; ce fut une tuerie formidable. Plusieurs perdirent la vie ; grand nombre furent grièvement blessés et plusieurs de ceux qui cherchèrent un refuge, en se sauvant à la nage, furent assommés dans l’eau. Les pierres, les morceaux de fer et les rondins pleuvaient sur leurs têtes pendant qu’ils se précipitaient dans le bac qui traversait alors la rivière de la Baie Saint-Paul. Aux élections suivantes, ce fut la même chose, quoiqu’avec moins de résultats désastreux, et pour demain, jour de l’appel nominal, on redoute une mêlée terrible. Mais les plus anciens et les plus au fait disent que ce sera impossible, à cause de l’immense majorité de M. Tremblay.