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CHRONIQUES

en grognant ; le candidat conservateur surtout n’y saurait mettre pied à terre nulle part ; il est jugé d’avance.

Quand on a quitté ces quatre endroits qui font frémir ma plume, comme je l’ai dit plus haut, on arrive, après des montées et des descentes innombrables, au Cap à Corbeaux, du haut duquel l’œil plonge dans la Baie Saint-Paul, l’endroit le plus considérable de toute la côte du nord. On ne se figure pas ce qu’est un pays pareil ; la Côte à Corbeaux a près d’un mille de longueur, et, à ses pieds, parmi des méandres sans fin, serpentant au milieu d’une vallée riante et fertile, se voit la rivière de la Baie Saint-Paul, communément appelée le Bras. Voyez-vous un peu ce que cela doit être ? Descendre vingt-huit arpents en roidissant tous ses muscles pour pouvoir se retenir et ne pas dégringoler avec les cailloux que le pied pousse devant soi, et qui roulent jusqu’au bas de la côte comme au fond d’un précipice ! L’archange rebelle, dans sa chute, a dû passer par là. Un vieil habitant de l’endroit m’a raconté dans son style naïf l’histoire de la création : « Dieu, dit-il, commença par faire les mers, les fleuves, les ruisseaux, puis le district de Montréal, puis la côte du sud ; cela lui prit quatre à cinq jours. Le sixième jour, il se sentit fatigué ; mais comme il n’avait pas encore fini, de lassitude il jeta ça et là le sac de la création, et voilà comment se fit la côte nord.” »

Entre deux promontoires énormes, qui ont l’air de se défier l’un l’autre, s’ouvre la Baie Saint-Paul et la rivière qui la continue. Cette rivière est peu de chose