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CHRONIQUES

le culte de l’idéal. C’est pour nous, je vous l’assure, un sujet d’orgueil et de réjouissances que d’échapper, sous cette haute protection, à l’épaisse atmosphère qu’appesantit de plus en plus autour de nous le commerce grossier et ignorant des simples enrichis, des parvenus aux grosses mains pleines de gros sous. L’Angleterre nous a-t-elle envoyé Lord Dufferin à la dernière heure pour adoucir les regrets d’une séparation devenue inévitable, ou pour offrir un témoignage d’estime, d’affection pour des colonies si longtemps fidèles ? Certainement, un homme comme celui-là n’est pas un choix du hasard ; il n’est pas venu ici, comme d’autres gouverneurs, simplement pour refaire une fortune ébréchée. À la veille de circonstances décisives, l’Angleterre ne nous envoie pas un homme de plâtre qui ne se recommanderait que par sa position et la suprême autorité qu’il représente ; elle donne, aux uns, l’homme d’état qui sera à la hauteur des événements, aux autres, à ceux dont le cerveau débile frémit à l’idée du self possession, une consolation.

Aussi, toute la presse de Québec est-elle en liesse au sujet du charmant lord qui est venu secouer les vieilles matrones dans leur léthargie et rendre aux jeunes filles leur enjouement animé, le vif incarnat que les plaisirs donnent à la jeunesse. Les Québecquoises ont retrouvé leurs couleurs, elles sont radieuses et ravissantes ; une espèce d’ivresse joyeuse les envahit ; tous les jours il y a une promenade empressée à la citadelle ; le bon vieil esprit d’autrefois se ranime, tout le monde se sent envie de paraître, de briller ; il n’y a pas jusqu’au Journal de Québec qui n’en éprouve le vertige, qui ne tourne aux bons mots et ne fasse des calembourgs.