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CHRONIQUES

tous les citoyens à se réfugier dans la citadelle, et le Conseil-de-Ville vient de décréter l’abrogation de la taxe sur l’eau.

Si ce tableau d’une catastrophe semblable à celle dans laquelle le monde fut englouti, il y a cinq mille ans, vous fait frémir, croyez qu’il n’est encore rien en comparaison de la réalité, puisque la réalité, c’est que, malgré le déluge qui nous inonde, il y a encore des feux dans la vieille capitale et des feux que rien ne peut éteindre. Des maisons prendre en feu dans l’eau, conçoit-on cela ! Eh bien ! c’est ce qui arrive ; avant-hier soir, toute une manufacture a brûlé, malgré un immense concours de peuple qui regardait. Rien n’était plus saisissant à contempler que ces flammes jaillissant à travers les flots d’eau versés par les nues et les minces filets des pompes ajoutant leur impuissance à celle du ciel lui-même ! Si une ville, aux trois quarts engloutie, n’est pas à l’abri du feu, où faudra-t-il donc se bâtir désormais et n’est-il pas à craindre que la simple sécheresse ait l’effet de réduire nos os en charpie ?

Malgré le déluge, malgré les vents et les rhumes, Québec s’amuse ; c’est un bal quotidien dans la chère et bonne vieille ville. Lord Dufferin est le plus galant, le plus aimable, le plus intelligent des gouverneurs que l’Angleterre nous ait donnés depuis Lord Elgin et de longtemps avant lui. C’est aux Canadiens-Français surtout qu’il donne ses prédilections, parce qu’étant un esprit cultivé, littéraire, amant des arts, il se porte de préférence vers la race qui a le plus