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CHRONIQUES

traste passager naît l’harmonie éternelle et le bien-être particulier d’un cœur remis dans son assiette.

Maintenant, la côte sud est montagneuse et sourcilleuse ; l’ombre des montagnes trouve encore le moyen d’assombrir les voiles de la nuit épandues sur le fleuve. Le Secret file le long de la côte comme un pirate ; un sillon rapide, semé d étoiles, éclaire notre fuite argentée ; nous glissons et nous ne roulons plus, que Dieu est grand ! Je ne me couche pas, rien n’est plus monotone. À quatre heures du matin, assure le second qui passe son temps à remplacer le premier, nous arriverons au bassin de Gaspé. Je vais attendre dans le recueillement et la congélation. Quatre heures sous le dôme céleste, par une nuit d’octobre, lorsqu’on coupe le vent, c’est héroïque ! Mais je m’élèverai avec la souffrance : « Rien ne nous rend si grands qu’une grande douleur ; » c’est Musset qui a dit cela un jour qu’il se chauffait devant une bonne grille, ce qui prouve que tout est relatif dans ce monde.


4 h. jeudi matin.

Nous y sommes, mais je ne vois rien ; j’attendrai que les lueurs matinales glissent sur ma paupière alourdie. Cinq heures ! Le bassin se dessine et le cadre s’éclaire. Quel spectacle ! Qu’on se figure une baie de vingt milles de longueur se terminant en un bassin où peut loger une flotte de mille vaisseaux ! À droite et à gauche, deux rivières, séparées par le port, descendent le long des falaises de granit ; cà et là des collines sauvages, à