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CHRONIQUES

Nous sommes, nous, un peuple ancien. Tout est vieux en Canada, les villes, les campagnes, les mœurs, le langage ; tout y est pénétré de l’antique et a la senteur lointaine d’un monde dès longtemps disparu. Nous parlons et nous vivons comme nos ancêtres ; en maints endroits, des souvenirs déjà séculaires attestent une vie, une histoire, des traditions dont nous n’avons fait qu’hériter, et qui sont maintenues par des coutumes pour ainsi dire invariables. Quand on parcourt les campagnes canadiennes, le plus souvent on respire comme la poussière d’une civilisation éteinte ; des ruines, déjà vieilles de cent ans, jonchent le sol dans bien des villages ; il y a des églises et des demeures que le moindre souffle du vent ébranle, et qui remontent au temps de la régence d’Orléans. Des cités entières même, comme Québec, s’enveloppent dans des manteaux de débris et semblent souffrir toutes les atteintes d’une vieillesse trop longtemps prolongée.

Le Bas-Canada est le vieux monde dans le nouveau, le vieux monde resté passif au milieu des secousses modernes, lézardé, mais immuable, sillonné de moisissures et jetant au loin l’odeur des nécropoles. Depuis plus de deux siècles, bien des champs ont la même apparence, bien des foyers ont entendu les mêmes récits des vieux, morts presque centenaires ; les générations se sont succédées comme un flot suit l’autre et vient mourir sur le même rivage, et c’est à peine si, depuis une quinzaine d’années, des mains hardies se sont mises à secouer le linceul sous lequel les Canadiens