Aller au contenu

Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/262

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
262
CHRONIQUES

même ville. Nous en avions encore pour quatre heures avant d’atteindre Dalhousie, le terme de mon voyage par eau et le port le plus reculé de la Baie. Là, j’allais commencer un voyage par terre qui devait m’initier à des mœurs et à des usages tout à fait nouveaux.


Il était passé huit heures du soir lorsque nous arrivâmes à Dalhousie, après avoir parcouru six cents milles de côtes. À notre droite s’étendait la rive canadienne de la Baie des Chaleurs et de la rivière Ristigouche, et, à notre gauche, se découvraient les premières campagnes veloutées, fraîches et grasses du Nouveau-Brunswick ; d’un côté, les montagnes de la Gaspésie ; de l’autre, une vallée basse, sinueuse, moitié sauvage, moitié cultivée, où se trouvent les plus belles fermes et où paissent les plus beaux troupeaux de l’Amérique anglaise.

Un coup de canon retentit à notre bord et des milliers d’échos le répétèrent dans les solitudes assombries qui nous entouraient de toutes parts. « Le scow, » crièrent alors plusieurs voix de l’équipage, « où est le scow ? » Je dressai l’oreille et j’entr’ouvris des yeux pleins d’éclairs qui dûrent illuminer le paysage. Le scow ! dis-je à mon tour d’une voix où il y avait de la terreur, que peut bien être le scow ? Le Secret avait jeté l’ancre et sa longue forme noire coupait les ombres qui semblaient menaçantes dans leur immobilité.

Les mouvements de l’équipage étaient devenus silencieux ; le capitaine et le second interrogeaient tour à tour les flots et la rive : les passagers, debout sur le pont, étaient rivés à leur place comme des morts ré-