Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/263

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
263
CHRONIQUES

veillés qui ne savent pas quel côté prendre ; l’anxiété et le mystère planaient dans les longs replis de la nuit ; il ne manquait plus que des hiboux et des chouettes vinssent s’abattre sur les chapeaux des passagers et frétiller dans leurs oreilles.

Tout à coup un objet noir, plat, large, à peine émergeant de la ligne des flots, se détacha du rivage et s’avança vers nous sans qu’on pût distinguer un seul de ses mouvements. Sa marche était lente, on eût dit qu’il rampait et qu’il cherchait à se dérober ; rien n’indiquait qu’il fût conduit par aucune main humaine, et l’onde, autour de lui, n’avait pas la plus légère ride. Il approchait cependant ; quand il ne fut plus qu’à quelques verges du Secret : « Voilà, voilà le Scow ! » cria le maître d’équipage, et aussitôt passagers et matelots, tenant des amarres, s’élancèrent au bord du steamer. En un instant je redevins moi-même, capable d’affronter tous les périls : mon angoisse fit place à une douce allégresse et à un grand soulagement ; le Scow ! le Scow ! n’était autre que le chaland à bord duquel sont transportés les passagers qui descendent à Dalhousie. C’est ainsi que la Compagnie du Golfe ménage des surprises à ses passagers les plus chers.

Nous sautâmes dans le chaland une douzaine de passagers environ, et deux minutes après nous abordions au quai Dalhousie. Il faisait nuit noire, de lumière nulle part ; mais des maisons blanches, carrées, dans le style américain, coupaient çà et là l’obscurité.

Dalhousie est une petite ville de quinze cents âmes environ, qui a des rues larges et dont les habitations