Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/293

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diatement l’esprit, et vous êtes transporté dans le bon vieux Canada d’autrefois.

Le père Chalmers a six frères tous plus longs que lui ; bout à bout, ces sept hommes font une pièce de cinquante-quatre pieds, un vrai cèdre du Liban. Il a en outre quatre filles robustes, vigoureuses comme la mère Ève, debout à cinq heures du matin, prêtes à toute heure pour les voyageurs nombreux qui, depuis deux ans, passent et repassent sans cesse. Mais jamais elles ne se montrent, (c’est la règle inflexible de la maison) excepté Sarah, l’aînée, qui a droit d’être partout et de voir tout le monde ; c’est elle qui serre la main des vieux amis et qui fait les honneurs de la maison aux nouveaux venus.

Quand Sarah s’habille, c’est une reine. Jamais plus beau buste ni démarche plus royale n’enchantèrent les rêves d’un poëte. Quand elle met ses habits de travail et qu’elle porte dans ses bras vigoureux les brassées de bois ou les larges plats de mouton, elle a encore la majesté d’une Pénélope qui rehausse et anoblit le travail le plus vulgaire.

Dans cette demeure puritaine, mais sans morgue, sans ostentation, il y a une discipline serrée, impitoyable, qu’exige le va-et-vient continuel de toute espèce de passants, dont quelques-uns, comme le chroniqueur, peuvent être dangereux. La mère Chalmers a l’œil là-dessus. Jamais, chez elle, de plaisirs bruyants ni de fêtes, quoique chacun ait la plus grande liberté d’action. Seulement, comme pour montrer les contrastes