Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/292

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qu’enfin la maison eut quatre-vingt pieds de longueur. Aujourd’hui elle est flanquée de grands bâtiments, et de beaux troupeaux paissent dans la ferme qui l’entoure.

Cette maison est unique sur tout le littoral de la Baie ; elle est la seule où l’on puisse se faire servir, bien manger, être bien couché et chauffé ! c’est là un item, comme nous disons dans notre pays.

Ordinairement, dans le pays que nous parcourons, les portes sont constamment ouvertes à tout venant et il n’y a pas de feu dans les maisons qui n’ont pas de doubles-croisées, mais un seul grand poële dans la pièce la plus reculée où se tient la famille, et un autre dans le vestibule où les voyageurs, quels que soient leurs goûts, leurs habitudes, leur rang, doivent tous se réunir s’ils veulent se dégeler.

Or, l’hôtel du père Chalmers a des poëles dans chaque grande pièce ; c’est merveilleux. La physionomie intime de cette albergo vénérable et l’atmosphère qu’on y respire rappellent ces bonnes vieilles maisons canadiennes du temps jadis, bien avant qu’il y eût des chemins de fer, des maisons qui ne s’ouvraient pas à tous les passants, mais où les gens comme il faut de toute la rive du Saint-Laurent se rencontraient dans des jours de prédilection, et s’amusaient comme on s’amusait alors sans craindre les intrus de catégories quelconques. Jamais ces maisons n’étaient envahies, jamais souillées par des voyageurs de toute provenance ; aussi elles conservaient cette dignité patriarcale qui répandait au loin leur réputation et l’odeur d’un confortable distingué. En entrant chez le père Chalmers, ce souvenir frappe immé-