Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/295

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nial passera sur sa ferme dans deux ans, il faudra que les lecteurs du National arrêtent chez lui et, en voyant Sarah, lui parlent de ce séduisant voyageur qui, dans l’automne de 1872, l’aida à monter le poële du petit salon privé. Si elle jette un cri, si ses joues s’empourprent, si ses yeux s’illuminent, vous aurez compris de suite et vous saurez pourquoi la blonde brunswickoise a failli me faire faire un rêve.

IV

20 Novembre.

Le dix-sept octobre dernier j’étais à Bathurst. Il y a déjà plus d’un mois : ô temps ! ô éternité ! Quand je pense qu’il y a plus d’un mois j’étais à Bathurst, je me demande ce que c’est que l’homme. Il y a trente-deux ans et neuf mois, à pareille date, je n’étais pas encore né ; et dire que j’ai déjà tant souffert ! La coupe des larmes est tarie dans mon cœur et je n’ai pas encore payé le quart de mes dettes. J’ai eu tous les malheurs possibles, et, ce qu’il y a d’étonnant, c’est que mes créanciers le savaient toujours d’avance. Que je cherche dans tous mes souvenirs, je n’en trouve aucun qui me console d’avoir vécu ces trente-deux ans et neuf mois ; je n’ai pas été ministre provincial ni compagnon du Bain, c’est là tout ce qui peut me faire pardonner tant d’années perdues.

Il y a cinq ans et demi, par exemple, je crus faire un beau coup en quittant le Canada, mes amours, pour aller à Paris, capitale du monde civilisé, où des boucheries d’hommes se font en moyenne tous les dix ans. Dans le Dominion nous n’avons pas besoin de ce pro-