Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/296

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cédé dépuratif qui enlève le mauvais sang d’un peuple ; ceux qui sont de trop s’en vont aux États-Unis où il est entendu qu’ils pourrissent.

C’était au temps de l’Exposition à laquelle, on le sait, notre pays a figuré par quelques bois, quelques métaux, quelques grains et un commissaire qui ne se montrait jamais, tout comme les quatre mille cinquante-trois émigrants qu’on dit s’être fixés ou figés sur notre sol depuis un an.

Il me plaît aujourd’hui d’initier le lecteur à cette phase de mon passé, de me reporter à ce souvenir déjà vieux, probablement parce qu’il m’a fait beaucoup vieillir ; ensuite, je lui dirai ce qui m’est arrivé à Bathurst. Ça ne traînera pas.

Paris ! c’est un nom qui donne le vertige et j’étais allé me jeter dans le gouffre. Force m’est ici de faire des révélations pathétiques. J’étais seul, sans appui, ignoré, ignorant le sombre et délicieux enfer où s’engloutissent tous les jours tant de vigoureuses espérances.

J’avais dit adieu à mes dernières affections et serré la main de mes nombreux amis qui étaient venus me reconduire à la gare Bonaventure, ainsi appelée parce qu’on y éprouve tous les mécomptes possibles à l’arrivée comme au départ. J’étais ruiné, ce qui paraîtra surprenant, et j’étais ambitieux, chose digne de remarque, attendu que je suis arrivé à être chroniqueur éternel.

Mon ambition était d’étonner mes contemporains par mon style. On voudra bien admettre que j’ai