Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/30

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Québec, 22 juin.

Je voudrais pouvoir rire à mon gré de la bêtise humaine, mais cela demanderait trop de temps et j’en ai bien peu à vous donner ; du reste, à quoi cela servirait-il de rire aujourd’hui ? Il y a une telle ressemblance entre le rire et les pleurs qu’on pourrait s’y méprendre, et l’on croirait peut-être que je ris jaune. Et pourtant cela m’amuse bien, je vous le jure, de voir que toutes les choses de ce monde sont si petites, si bornées, et que la bêtise seule n’a pas de limites.

Donc, nous sommes battus, battus sur toute la ligne, à Bagot, à Québec, à Lévis. Évanturel est écrasé, moulu, c’en est fini de lui ; Fréchette est en dessous de trois cents voix ; mais il est tombé héroïquement, sur un lit de mitraille d’où il se relèvera plus terrible et plus fort dans un an. « La cause des vainqueurs plût aux dieux, mais Caton préféra la vaincue. » Ainsi de Fréchette ; je ne dis pas qu’il l’ait fait absolument exprès, mais il est aussi solide dans la défaite qu’il était triomphant sur les hustings ; ce qu’il a perdu en votes, il le gagne en force morale.

Le comté de Lévis offre un bizarre spectacle, une anomalie qu’on ne tolérerait pas dans un pays vraiment constitutionnel ; toute la campagne contre la ville. La ville, un groupe compacte de travailleurs, d’employés, de mercenaires de toute espèce qui étouffent la voix des habitants de tout le comté ; cette masse vote comme une masse, pas autre chose, et cela suffit pour exclure le véritable représentant de la grande majorité des électeurs libres. Lévis, la ville, devrait avoir un député à elle seule, et le comté un autre ;