Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/301

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torieux, l’avenir est à lui. Je me creusai la tête pour donner à mon article une originalité saisissante, je dis des choses certainement ignorées, je fis des considérations toutes neuves, je retouchai, je corrigeai et je signai. En voyant mon nom au bas de cet article qui cependant n’était qu’une ébauche inconnue, j’eus un frémissement. Oh ! qui ne connait pas les émotions d’un début ? Qui n’est pas familier avec ces combats intérieurs de l’espoir et de la crainte qui vous laissent haletant, effrayé, enchanté, inquiet et rassuré tout ensemble ? On se dit que ce qu’on a fait est admirable, qu’il est impossible de ne pas réussir, et l’on est épouvanté. Qui te porte à mesurer le champ de la renommée et à t’y choisir une place, toi, pauvre diable qui ne peux attendre et qui as besoin de vivre avant d’être célèbre ? Mais l’espoir l’emporte ; la jeunesse, la confiance en soi, l’élan de la volonté sont comme le torrent qui bondit sur l’obstacle, ou l’enlève quand il ne peut le franchir.

Je m’endormis au milieu de chimères souriantes ; mon sommeil fut léger, long et bienfaisant ; quand je m’éveillai, vers onze heures, ma chambre me parut enchantée. Le soleil, luttant contre les persiennes, essayait de m’envoyer quelques-uns de ses rayons joyeux ; mille rumeurs s’élevaient du sein des rues, mais ce n’était pas ce bruit de la veille, étourdissant, fatigant, mêlé de notes aiguës, de clameurs douloureuses, c’était un vaste concert plein de force et d’harmonie, la grande ville en travail. Je me levai à la hâte, bridant de voir Paris dans sa fiévreuse activité ; je ne le redoutais plus : au contraire, il me tardait d’aspirer son souffle puissant, de saisir le sein toujours gonflé où s’alimen-