Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/300

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

marcher précipitamment. Un flot d’idées nouvelles bondit à mon cerveau ; ce n’était pas la fièvre de l’épuisement, c’était l’énergie réparatrice et vigoureuse qui reprenait son empire. Une voix me dit qu’on n’est pas vaincu avant la lutte et qu’il reste toujours à l’homme quelque chose qui survit à toutes les défaites, l’espérance.

J’étais seul, je me sentis renaître, ou plutôt non, je n’étais pas seul. Qu’est-ce que l’isolement quand la foule des souvenirs vous enveloppe, quand tout le passé vous accompagne, quand l’espoir et le regret, se combattant, forment autour de vous une atmosphère brûlante ? On n’est jamais seul quand on pense et qu’on se souvient. Les désenchantements du passé, les illusions de l’avenir viennent peupler la petite chambre où tout votre univers se concentre, où vous êtes heureux et malheureux tout ensemble. La solitude a des entraînements que le malheureux seul goûte et chérit, parce que rien ne convient au malheur comme l’oubli et le silence. Ceux qui ne pensent pas aiment le bruit, il remplit le vide de leur cerveau ; ceux qui pensent veulent être seuls, parce qu’il faut à la pensée l’espace et le calme.

J’avais quelques manuscrits ; je les rassemblai, je les relus ; je me dis : « On doit être avide de connaître tout ce qui se passe en ce moment en Amérique ; voilà cinq ans que l’Europe a les yeux tournés vers elle ; commençons par un article de journal ; s’il est accepté, je verrai bien ensuite ce que je puis faire. »

Et je me mis à travailler fiévreusement. Un premier article ! Savez-vous ce que c’est qu’un premier article ? C’est l’épreuve terrible de l’initié. S’il en sort vic-