Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/307

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fie ma présence ; mais je suis le propriétaire de cette maison et je viens m’en emparer. »

Vous saisissez mon épatement. Ces façons, ces excuses à peu près, ces paroles dans la bouche d’un homme qui profite de l’absence des hôtes d’une maison pour venir s’en emparer à main armée, me jetèrent dans un véritable désarroi. J’avoue que je restai interloqué devant ce pandour de six pieds deux pouces qui avait des bras comme des billots, une barbe et une carrure de burgrave. Après deux minutes d’une stupéfaction voisine de l’ébêtement, je me hasardai à dire : « Comment cela ? vous, le propriétaire ! mais il me semble que je suis ici chez M. Sutherland, le seul Sutherland, et qu’il n’a pas eu le temps, depuis une heure, d’aller dans l’autre monde et d’en revenir métamorphosé comme vous voulez me le faire croire. Il me semble que c’est parfaitement Sutherland qui m’a reçu chez lui, chez lui, et non pas chez un autre, que cela s’est fait tout seul, que vous n’étiez pas là pour lui en donner la permission ; que, dans tous les cas, si vous êtes propriétaire de cette maison, c’est du moins Sutherland qui l’habite, qui en est le détenteur incontestable, et que vous ne pouvez venir ainsi armé dans son intérieur, au milieu de ses meubles, avec tous les signes de la violence et de desseins criminels.

— Monsieur, me répliqua alors en s’avançant vers moi un homme de soixante ans peut-être, mais droit et fort, je suis magistrat ; celui-ci est mon fils, Frank Mehan, propriétaire de cette maison, et je viens lui prêter l’appui de la loi et main forte en cas de résistance.

Ce magistrat, père de l’individu qui se disait proprié-