Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/334

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veux l’exercer, parce que chacun se doit à tous ; j’exige que tu vives, parce que ta vie est un contrat fait avec la mienne.

Que peux-tu me répondre ? Ton découragement, tes désillusions ? Enfant, qui te crois malheureux et qui as encore des illusions à perdre ! Attends donc que tu ne puisses plus t’affliger de rien, que tu ne saches plus comment ni pourquoi pleurer pour croire à la souffrance.

Chaque homme en naissant reçut une coupe que sa vie entière se passe à remplir de fiel. À vingt ans, âge des sourires de l’amour, quand le premier rêve est brisé, le flot monte subitement dans la coupe jusqu’aux bords, et l’homme, qui n’a pas la mesure de ses forces, se croit perdu. On a tant de confiance à cet âge que le premier malheur semble irréparable ; la douleur est une chose si nouvelle, si inattendue, elle saisit tellement à l’improviste, et ses premiers coups sont si violents que le malheureux, ne sachant comment résister devant cette terrible inconnue, fléchit, s’épouvante, et se croit anéanti parce qu’il est accablé.

Mais ce que la douleur à cet âge a de plus redoutable, c’est la volupté même qu’elle inspire. Ce qu’on redoute le plus lorsqu’on est frappé pour la première fois, c’est la consolation ; on repousse tout espoir de remède comme un outrage fait à son mal, que l’on croit éternel, et l’on préfère mourir afin de n’avoir pas à se reprocher une vaine affliction.

 Qu’importe la consolation, t’écries-tu, si le mal subsiste ! c’est le mal qu’il faut détruire. » Mais, mon ami, n’est-ce pas le temps qui a fait naître, qui a agrandi et approfondi ta souffrance ? Eh bien ! laisse-le