Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/364

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donne bien la mesure d’une époque ! Ce qui épouvante, c’est qu’il y ait des gens qui s’appellent encore eux-mêmes bonapartistes ; il y a donc dans l’infamie un certain degré où le cynisme devient nécessaire, et quand on n’a plus rien à redouter de sa conscience, c’est donc une loi fatale qu’il faille l’étouffer pour échapper à ses retours possibles ? Napoléon soudoyant des journalistes pour défendre l’Empire, après l’opprobre de Sédan, c’est le gouvernement provincial payant des agents d’émigration pour hâter le dépeuplement du pays.

Cette comparaison peut surprendre comme toutes les vérités crues dites brusquement, mais elle est aussi juste qu’une décision de l’empereur d’Allemagne.

Puisque je suis à Montréal, laissez-moi me reporter, seulement quelques minutes, au temps où je l’habitais d’un bout de l’année à l’autre, à cette époque où mes amis et moi nous étourdissions la ville de nos bruyants ébats, des éclats fantasques de notre gueuserie.

Quel temps ! nous étions une dizaine de fous qui n’avions d’autre souci que d’abréger notre existence ; quelques-uns d’entre nous ont réussi, hélas ! beaucoup trop vite ; ils sont restés sur ce chemin retentissant que je foule encore de mes talons usés ; les autres sont mariés, sont pères, sont presque lâches, ô profanation ! Ils ont épousé et ils se couchent avec des bonnets de coton, et ils paient les robes de leurs femmes, et ils ont des cuisinières… et des bonnes, dieux vengeurs ! et ils font des spéculations, les apostats, les déserteurs de notre glorieuse bohème.

Puisque je suis resté seul, je me venge d’eux et je leur fais des chroniques en échange des dîners et des