Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/365

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lunchs dont ils m’accablent, s’imaginant, par ce procédé vulgaire, étouffer la voix du passé et le cri de mon orgueil qui ne se refuse à rien et qui accepte par pitié pour leur splendeur. Grâce à eux, grâce à tous ces traîtres qui m’ont laissé comme un chardon envieux sur la route qu’ils sèment de fleurs, je n’ai pas eu le temps de faire des visites à des familles qui me sont chères et qui me prennent sans doute pour un ingrat. C’est ainsi ; jusqu’à présent je n’avais passé que pour insolvable, aujourd’hui je suis un oublieux ; j’arriverai à ne plus être rien du tout, ne laissant pas même de quoi payer mon épitaphe. Ô mes amis ! vous auriez bien dû me prendre en société, et j’aurais pesé de tout mon poids dans la colonne des dépenses ; quant aux recettes, nous aurions noblement partagé en frères. Aujourd’hui vous me faites des politesses ; c’est bien joli, mais vous gardez les revenus. Soit ; je vous charge de mes obsèques.

Maintenant, faisons des appréciations. Savez-vous, Montréalais, que vous habitez la première ville du monde ? Croyez-m’en, moi qui suis un voyageur, un cosmopolite ; je ne connais pas de ville qui ait grandi et se soit métamorphosée comme la vôtre en si peu d’années ; j’entends le développement suivi, régulier, constant, et non pas ces soubresauts qui tiennent de la magie, ces élancements électriques qui ont fait jaillir Chicago et quelques villes semblables comme par des coups de foudre. Montréal va vite, mais sans emportement ; les particuliers qui ont de la fortune semblent fiers d’en consacrer une bonne partie à l’em-